Les villes métabolisent-elles ?
Introduction
L’image du métabolisme urbain est couramment utilisée pour exprimer les interactions complexes existant entre les flux de matières et d’énergies en ville. Nous avons tous suivi des cours de biologie qui traitent de la manière dont le métabolisme cellulaire transporte les nutriments dans nos corps et les transforme en énergie. Notre familiarité avec ce concept biologique nous permet d’appréhender intuitivement les flux tout aussi complexes qui existent dans nos villes que recouvre l’image du métabolisme urbain. C’est pourquoi les urbanistes, les concepteurs et les chercheurs en sciences sociales s’en sont saisis, lui donnant cependant des sens distincts, quoiqu’apparentés. Le présent article retrace l’évolution de la notion dans ses différents usages et décrit concrètement les processus métaboliques urbains et l’intégration potentielle des technologies urbaines.

Les approches quantitatives du métabolisme
D’un point de vue quantitatif, le métabolisme urbain peut se définir comme « la somme des processus techniques et socio-économiques qui ont lieu dans les villes et qui débouchent sur de la croissance, de la production d’énergie et l’élimination de déchets » (Kennedy et coll., 2007). Souvent menées par des tenants de l’écologie industrielle et territoriale, les études du métabolisme urbain s’intéressent à un éventail de flux au sein d’une ville ou d’une région, s’exprimant notamment en kilowatts-heures d’énergie, en litres d’eau, en tonnes de matière ou en kilogrammes de nutriments. Les études quantitatives du métabolisme urbain ont pour objectif de dresser un bilan fidèle des flux totaux d’énergie, d’eau, de matières ou de nutriments qui traversent une ville donnée dans l’objectif d’en comprendre et d’améliorer l’impact environnemental. Les villes peuvent par exemple mettre à profit l’étude du métabolisme urbain pour identifier les processus ou secteurs ayant l’impact environnemental le plus élevé (négatif) et formuler des politiques appropriées en conséquence. L’image de gauche montre comment s’articule un écosystème urbain, avec ses flux entrants et sortants correspondants.

Du point de vue des technologies urbaines et de l’aménagement urbain, un aspect intéressant du métabolisme urbain concerne le fait qu’il rapporte les villes à des données matérielles. À ses débuts, le métabolisme urbain considérait les villes comme des boîtes noires, examinant les flux entrants et sortants totaux d’une ville entière, sans chercher à rentrer dans le détail et à examiner la localisation précise des stocks et des flux de matières au niveau des quartiers, ni à comprendre comment certains aspects de la ville (tels que la densité de construction ou les réseaux de transport) pouvaient impacter les flux de matières. On trouve un exemple frappant de cette approche typique du métabolisme urbain des années 1960 dans l’étude charnière menée par Wolman en 1965, dans laquelle des données nationales sur l’eau, la nourriture, les carburants et la production de déchets par personne étaient utilisées pour estimer l’ampleur des flux d’une ville américaine hypothétique d’un million d’habitants (voir l’image de droite).
Les premières études s’intéressant au métabolisme urbain consistaient en des exercices comptables de calcul de stocks, flux entrants et flux sortants totaux d’eau, de matières, de nutriments et de déchets de villes spécifiques. La discussion portait ainsi assez peu sur la manière dont les aspects spatiaux de la ville (par exemple sa densité, l’occupation des sols, la proximité et l’accessibilité) pouvaient affecter la localisation de ces flux.
La démarche du métabolisme urbain a continué à se développer et la manière d’appréhender les villes a évolué, aboutissant à une diversité d’approches spatiales, notamment la cartographie des stocks et des flux sur une échelle plus détaillée (celle des bâtiments par exemple) ou encore le calcul de l’empreinte écologique des villes. Le fait de cartographier les stocks nous a permis de connaître la localisation et la quantité de matières disponibles dans la ville, dans les bâtiments que nous habitons et dans les produits que nous possédons. Alors que s’esquisse un avenir caractérisé par une raréfaction croissante des ressources, ce type d’information peut nous aider à situer et réutiliser des matériaux existants incorporés dans nos villes, réduisant ainsi notre impact sur l’environnement et notre dépendance envers des pays tiers pour nos matières premières. On retrouve ce type d’approche dans les cartographies de stocks de matériaux de construction (Stephan et Athanassiadis, 2017) (Tanikawa et coll., 2015). Réalisées sur la base de données géolocalisées sur des bâtiments d’une ville, elles estiment la quantité de matériaux disponibles dans chaque bâtiment en fonction de sa hauteur, de son âge et de sa fonction. Le résultat permet de visualiser la disponibilité en matériaux dans différents endroits d’une ville, d’une région ou même d’un pays, comme on le voit ci-dessous.

La cartographie de flux (correspondant à la carte ci-dessous) s’intéresse quant à elle à la visualisation de flux de matières à travers une ville ou une région. Des données géolocalisées sur les déchets ou des tableaux d’entrées-sorties sont ainsi représentés sous forme de cartes pouvant être mises à profit par les pouvoirs publics pour identifier où se concentrent les flux de matières, ainsi que pour connaître la localisation et les distances parcourues par les matières entrantes et sortantes de leur territoire.


L’étude de l’empreinte écologique des villes détermine la superficie nécessaire à l’approvisionnement de la ville en ressources et au traitement de ses déchets. Des études de cette nature ont été menées pour les municipalités de Vancouver, de Santiago du Chili, Cardiff et diverses villes baltiques (Kennedy et coll., 2007). Le fait de calculer l’empreinte écologique des villes nous permet de comprendre si les flux entrants et sortants de matières ont un impact environnemental qui dépasse la capacité de la ville et de son territoire environnant, ce qui constitue un aspect important du développement durable.
La perspective quantitative sur le métabolisme urbain peut exploiter les technologies urbaines de nombreuses manières, d’autant que celles-ci ont permis une plus grande disponibilité de données de localisation sur les matières. Par exemple, les données cadastrales, qui enregistrent des informations détaillées sur le bâti au sein d’une ville (et notamment la hauteur des bâtiments, leur âge et leur fonction), peuvent être utilisées pour estimer la disponibilité de matières premières au sein d’une ville de manière très précise. Les données sur les déchets, collectées par l’administration pour faire un suivi des impacts environnementaux, peuvent comporter des informations additionnelles ayant trait à la localisation, telles que les adresses de sociétés générant, traitant ou réutilisant des déchets, permettant d’aboutir à une cartographie et une analyse fines des flux de déchets.
Grâce à l’utilisation de méthodes d’analyse géospatiales, des données géolocalisées sur les matières peuvent être analysées pour générer des éclairages nouveaux utiles aux politiques urbaines et à l’aménagement urbain. Par exemple, une étude de détection d’agrégats spatiaux menée dans la ville du Cap a mis en évidence des concentrations supérieures de cuivre dans les zones à faibles revenus du fait d’une densité de population et d’une hauteur des bâtiments plus élevées (van Beers & Graedel, 2003). Un autre exemple concerne l’analyse de données géolocalisées sur les déchets pour estimer les émissions carbone liées au transport de déchets, réalisée par la start-up de suivi de l’économie circulaire GeoFluxus.
Un défi majeur se pose pour le métabolisme urbain quantitatif concernant la disponibilité et la qualité de données géolocalisées sur les flux de matières. Souvent indisponibles même dans les pays les plus développés (tels que les Pays-Bas), elles accusent différentes limites (Sileryte et coll., 2022). Une solution technique consisterait à utiliser des méthodes d’apprentissage automatique appliquées à la reconnaissance d’images pour analyser de l’imagerie satellitaire ou issue de Google Street View afin d’améliorer la précision des données sur les matériaux, comme le propose par exemple spotr.ai.
La perspective quantitative sur le métabolisme urbain peut exploiter les technologies urbaines de nombreuses manières, d’autant que celles-ci ont permis une plus grande disponibilité de données de localisation sur les matières. Par exemple, les données cadastrales, qui enregistrent des informations détaillées sur le bâti au sein d’une ville (et notamment la hauteur des bâtiments, leur âge et leur fonction), peuvent être utilisées pour estimer la disponibilité de matières premières au sein d’une ville de manière très précise. Les données sur les déchets, collectées par l’administration pour faire un suivi des impacts environnementaux, peuvent comporter des informations additionnelles ayant trait à la localisation, telles que les adresses de sociétés générant, traitant ou réutilisant des déchets, permettant d’aboutir à une cartographie et une analyse fines des flux de déchets.
Grâce à l’utilisation de méthodes d’analyse géospatiales, des données géolocalisées sur les matières peuvent être analysées pour générer des éclairages nouveaux utiles aux politiques urbaines et à l’aménagement urbain. Par exemple, une étude de détection d’agrégats spatiaux menée dans la ville du Cap a mis en évidence des concentrations supérieures de cuivre dans les zones à faibles revenus du fait d’une densité de population et d’une hauteur des bâtiments plus élevées (van Beers & Graedel, 2003). Un autre exemple concerne l’analyse de données géolocalisées sur les déchets pour estimer les émissions carbone liées au transport de déchets, réalisée par la start-up de suivi de l’économie circulaire GeoFluxus.
Un défi majeur se pose pour le métabolisme urbain quantitatif concernant la disponibilité et la qualité de données géolocalisées sur les flux de matières. Souvent indisponibles même dans les pays les plus développés (tels que les Pays-Bas), elles accusent différentes limites (Sileryte et coll., 2022). Une solution technique consisterait à utiliser des méthodes d’apprentissage automatique appliquées à la reconnaissance d’images pour analyser de l’imagerie satellitaire ou issue de Google Street View afin d’améliorer la précision des données sur les matériaux, comme le propose par exemple spotr.ai.

L’écologie politique comme approche du métabolisme
L’écologie politique de la ville ajoute une dimension sociale à notre compréhension du métabolisme urbain en s’interrogeant sur « qui produit quelle sorte de configurations socio-écologiques et pour qui » (Swyngedouw, 2006). Elle procède de la conviction que les avancées technologiques et les optimisations de processus métaboliques ne peuvent résoudre seules les défis écologiques actuels. Notre société doit commencer par comprendre les facteurs socio-économiques du changement écologique, ainsi que les impacts des systèmes urbains qui ont lieu au-delà de leurs frontières. Puis les décideurs politiques doivent établir un lien entre « analyse des problèmes environnementaux urbains et des solutions socio-écologiques plus globales » (Roger Keil, 2003). Le fait de comprendre qui gagne, qui paie et qui pâtit est en effet capital pour pouvoir élaborer des politiques durables, justes et démocratiques.
La première série de recherches liées à l’écologie politique de la ville s’est intéressée aux inégalités dans les processus métaboliques existants sur le territoire des villes. Par exemple, une étude importante menée par Heynen et Perkins (2005) a établi un lien entre des variables telles que le revenu médian des ménages, les caractéristiques des logements et des facteurs ethniques et l’accès aux parcs et à un couvert arboré. Ils ont pu mettre en évidence que les disparités dans la distribution spatiale des parcs urbains constituent une forme d’inégalité environnementale au sein des villes. Cela rejoint une conclusion qui avait déjà été tirée de travaux antérieurs : « les conditions matérielles qui composent les environnements urbains sont contrôlées, manipulées et mises au services de l’élite aux dépenses des populations marginalisées » (Swyngedouw, 2004).
Avec l’évolution des méthodologies, les études ont porté sur des échelles plus grandes, couvrant ainsi les « réseaux mondiaux de production, flux de ressources et systèmes d’infrastructure au-delà de la ville proprement dite qui créent un plus vaste paysage d’urbanisation » (Cousins et Newell, 2019). Cousin et Newell ont par exemple étudié le métabolisme hydrique de Los Angeles afin d’aider la métropole à accroître son approvisionnement en eau et développer sa résilience face au changement climatique. Ils ont commencé par appliquer des techniques quantitatives pour estimer l’empreinte carbone de chacun des approvisionnements en eau existants de la ville. Leur étude a mis en évidence que le système State Water Projects nécessitait des quantités phénoménales d’énergie pour pomper l’eau par-delà les montagnes, tandis que l’aqueduc de Los Angeles n’exigeait quant à lui pas de pompage et donc pas d’électricité. Les chiffres de l’intensité énergétique donnent ainsi à penser que la ville devrait agrandir l’aqueduc de Los Angeles. Mais l’analyse ne s’est pas arrêtée là. Les chercheurs ont ensuite appliqué le cadre d’analyse de l’écologie politique de la ville pour évaluer les impacts du métabolisme urbain au-delà des frontières de la ville. Ils ont alors mis en évidence que la captation d’eau mise en place pour l’aqueduc de Los Angeles entraînait une désertification et des problèmes de santé publique à 400 km de la ville, dans le bassin versant du fleuve. Cette injustice socio-écologique l’emporte largement sur les avantages qui pourraient être générés par l’agrandissement de l’aqueduc et les chercheurs ont donc proposé des alternatives. Ce cas démontre que l’application de l’écologie politique de la ville s’avère nécessaire en complément des méthodes quantitatives pour comprendre l’interaction étroite qui existe entre la ville et son territoire.
Alors que des chercheurs appliquent l’approche de l’écologie politique à des villes à travers le globe, il est clair que chaque ville possède un métabolisme urbain qui lui est propre. Il existe une réelle fracture entre les villes des pays du Nord et celles du Sud. On peut par exemple comparer le métabolisme hydrique de Los Angeles à celui de Lilongwe, au Malawi. Rusca (2017) s’est intéressée à la manière dont les inégalités sociales se reflètent dans le système de distribution d’eau de cette ville africaine.
44 % de sa population est desservie en eau courante à domicile : il s’agit principalement de catégories sociales élevées habitant dans des quartiers de standing. Ces élites urbaines paient des factures plus élevées et entretiennent des liens plus étroits avec les pouvoirs publics, de sorte que la société de distribution d’eau cherche à les satisfaire en leur offrant une disponibilité, une qualité et des niveaux de service élevés. Parallèlement, 34 % des habitants de Lilongwe ne bénéficient d’un accès à l’eau que par le biais de kiosques à eau et vivent principalement dans des quartiers informels qui concentrent les ménages à faibles revenus. Du fait des déséquilibres de pouvoir et de contraintes en matière de ressources, l’exploitation et la maintenance des kiosques à eau ne sont jamais prioritaires. La distribution inégale d’activités métaboliques se manifeste dans des pénuries et des contamination plus élevés pour les kiosques à eau qu’à domicile alors même que l’eau de ces deux modes de distribution a la même origine. En comparant Lilongwe à Los Angeles, nous constatons que le défi spécifique de l'une des villes découle de sa géographie, tandis que celui de l'autre tient à son histoire postcoloniale.
Si l’écologie politique de la ville est intrinsèquement qualitative et axée sur les interactions, l’exploitation des nouveaux outils de data science s’avère très utile. De nombreux outils développés à l’origine à des fins de mobilisation politique offrent un fort potentiel de découverte de nouvelles corrélations. Le travail d’identification d’agrégats (ou clustering) dans les données démographiques peut aider les scientifiques à proposer des décompositions des villes en « communautés » (Kahn, 2021). L’analyse des sentiments dans les médias sociaux peut permettre de mesurer les impacts de politiques, se substituant à des enquêtes onéreuses (Drijfhout, 2016). La sociophysique permet de mesurer les comportements en temps réel (Pentland, 2014). L’apprentissage automatique peut classer par ordre d’importance les facteurs de changement métabolique et prédire des changements éventuels (Peponi, 2022). Malgré ces nombreux apports, « les spécialistes de l’écologie politique ont depuis longtemps observé que les approches technocentrées ont fortement tendance à réduire les relations complexes entre humains et environnement sans tenir compte des rapports sociaux et des dynamiques de pouvoir » (Nost, 2022). Pour l’heure, les entretiens restent au cœur de la méthodologie de l’écologie politique de la ville, mais la science des données aidera à poser les bonnes questions aux bonnes personnes.

L’approche du métabolisme par l’urbanisme, l’architecture et le design
Les architectes et les urbanistes utilisent le métabolisme urbain pour expliquer et concevoir des systèmes écologiques et circulaires dans des contextes urbains. Les besoins métaboliques d’une ville « peuvent être définis comme l’ensemble des matières premières et les produits de base indispensables aux habitants de la ville dans le cadre de leur domicile, leur travail et leurs loisirs. » (Wolman, 1965, p. 179). Une question pressante se pose donc : comment pouvons-nous répondre à ces besoins sans épuiser les ressources finies de la planète ?
Les villes actuelles possèdent un « métabolisme linéaire », consommant de vastes quantités de ressources matérielles et les transformant en bâtiments et en énergie avant d’en rejeter les déchets (les éliminant dans les décharges ou sous la forme de polluants relâchés dans l’air ou dans l’eau). Il s’agit maintenant, sur la prochaine décennie, d’arriver à créer un modèle de « métabolisme circulaire » par les villes où les flux entrants de matières et les flux sortants de déchets ne dépassent pas la capacité du territoire environnant. Partant de ce constat, entreprises et pouvoirs publics conçoivent des produits spécifiques et des processus plus circulaires autour de modèles d’usage élargi, de « réparabilité » et de « partageabilité ». Toutefois, cette approche à petite échelle ne se diffuse pas assez rapidement pour prévenir l’effondrement écologique qui nous attend. Les urbanistes devront créer des cadres à très grande échelle qui intègrent, stimulent et cultivent plus de projets.
Dans les systèmes urbains à grande échelle, il est utile de concevoir la ville comme un organisme vivant complexe, en s’aidant de l’image du métabolisme urbain. Tout comme les approches quantitatives et les approches de l’écologie politique, « le caractère durable des systèmes urbains s’apprécie sur la base des interactions entre différentes échelles entre les écosystèmes, les infrastructures transfrontalières et les multiples acteurs sociaux et institutions qui gouvernent ces infrastructures » (Bahers et coll., 2022, p. 7). Pour se fixer des objectifs pertinents, « il est intéressant pour les [urbanistes] de savoir s’ils utilisent l’eau, l’énergie, les matières premières et les nutriments efficacement, en comparant l’efficacité avec celles d’autres villes » (Kennedy et coll., 2007, p. 57). Pour aboutir à des solutions locales probantes, il est crucial de comprendre les singularités de chaque ville, telles que son climat, ses coûts en ressources et son âge. Le métabolisme urbain peut également favoriser la prise en compte de l’ensemble des parties prenantes du processus métaboliques afin d’améliorer la vie de tous, sans exclusions liées à la fracture numérique, l’origine raciale ou la localisation géographique. Les urbanistes ne doivent donc pas se focaliser sur la forme finale de la ville, mais tenter de concevoir des « systèmes incomplets » (Sassen, 2012) ayant vocation à devenir des terreaux fertiles de croissance organique et d’innovation.
La plupart des projets urbains contemporains se structurent à l’échelle locale sans se soucier des impacts macro. Or, nous savons que la ville n’est pas une entité autonome, mais la somme d’écosystèmes environnementaux et sociaux étroitement entrelacés au-delà des frontières administratives. Les urbanistes ne peuvent faire l’impasse sur ces connexions étant donné que « la vitalité des villes repose sur leurs relations spatiales avec leurs territoires environnants et les réseaux mondiaux de ressources » (Kennedy et coll., 2007, p. 56). C’est dans ce cadre que le métabolisme urbain prend tout son sens, nous aidant à « penser en termes de relations et de liens reconstruits entre les strates urbaines, au lieu de l’approche classique consistant à réduire la ville à des axes fonctionnels » (Bahers et coll., 2022, p. 9). Dans l’élaboration de politiques, les frontières administratives définissent souvent les limites de la recherche et de l’analyse du métabolisme urbain. Nous devons faire tomber ces frontières artificielles, car le fait de librement « territorialiser le métabolisme urbain peut révéler les interconnexions et les dépendances entre territoires en matière d’extraction des ressources, d’industrie et de gestion des déchets » (Bahers et coll., 2022, p. 9). Le processus de territorialisation de la circularité peut servir de moyen d’imaginer des scénarios d’avenir et de faire le lien entre discours de recherche, travail de conception et politiques économiques et urbanistiques (Furlan et coll., 2022, p. 46).
Aujourd’hui, le changement climatique, l’expansion urbaine et la croissance démographique mettent les urbanistes et les concepteurs au défi d’innover plus vite que jamais. En conséquence, les processus de conception sont en cours de réinvention par l’IA et les technologies urbaines. Sur le plan politique, on observe des innovations telles que Réinventer Paris ou l’Algorithmic Register qui remettent en question le processus de planification traditionnel. En matière de planification, la conception assistée par IA permet désormais la création de bâtiments plus durables avec des projets tels que SpacemakerAI, Delve et One Click CLA. Dans la phase de construction, de nouveaux matériaux permettent d’espérer une réduction de l’empreinte carbone du secteur grâce à la massification du bois ou encore au béton préfabriqué par impression 3D. Dans le fonctionnement urbain, les capteurs connectés assurent un suivi en temps réel de la circulation automobile et des déchets par exemple. Au niveau des consommateurs, nous assistons à l’émergence de projets s’attachant à la réduction de la consommation d’énergie avec des projets tels que la Maison de l’économie circulaire à Berlin (CRCLR House) ou le thermostat Nest. Fermant la boucle, le recyclage est transformé par des innovations telles que des bras robotiques et des lecteurs de code-barres bricolés. Par nature, les technologies engendrent des gains d’efficacité, qui correspondent à ce que nous devons intégrer au sein d’un « métabolisme urbain circulaire ». Ensemble, le design et l’innovation peuvent influencer la demande et améliorer les expériences des consommateurs tout en les rendant plus responsables.
Conclusion
Cet article aura permis de passer en revue trois approches du métabolisme urbain. L’approche quantitative utilise des données géolocalisées pour analyser la localisation des stocks et des flux de matières, d’eau, d’énergie et de nutriments. L’approche issue de l’écologie politique emploie des méthodes qualitatives telles que des entretiens et des études de cas pour chercher à comprendre l’impact sociétal et politique de ces flux. Enfin, l’approche axée sur la conception utilise des éclairages provenant à la fois des méthodes quantitatives et de l’écologie politique pour guider l’urbanisme, l’architecture et le design.
Les technologies urbaines et la disponibilité de données urbaines (ou géolocalisées) offrent des possibilités pour approfondir le développement de ces approches du métabolisme urbain. Ainsi, l’analyse géospatiale peut mettre en lumière des zones particulièrement riches en stocks et en flux de matières au sein des villes. L’identification d’agrégats spatiaux des populations et d’analyse des sentiments dans les médias sociaux peuvent permettre de mesurer l’impact de politiques liées à l’eau ou à l’énergie. Enfin, l’intelligence artificielle pourrait être mise à profit pour générer différentes options de conception qui répondent à certains critères en matière de flux métaboliques.
Bibliographie
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