Favoriser la sérendipité
Stream : Dans le cadre de l’économie du savoir, la créativité et l’innovation sont les deux amants de la compétitivité. En même temps, la croissance rapide des technologies de communication, tout aussi pertinentes, a tendance à faire disparaître le bureau physique. Selon vous, quel genre de « bureau » pourrait englober la technologie et les tendances de l’économie du savoir tout en facilitant les rencontres, le partage et l’innovation ?
Jan-Peter Kastelein : À partir de mes recherches et de mon expérience personnelle, je peux avancer que l’un des quatre facteurs les plus importants pour permettre le partage et la collaboration est la sensibilisation aux autres. Et pourquoi ? Si vous êtes conscient du travail d’un collègue, sensibilisé à son travail, il est bien plus facile d’engager la conversation : « Salut, qu’est-ce que tu fais ? Parle-moi de ton travail. Dis-moi ce que je peux faire pour t’aider et ce que tu peux faire pour m’aider. » Si cette sensibilisation aux vies des uns et des autres, à leur expérience, ou à leur style ne se fait pas, il devient difficile d’insuffler un esprit de collaboration. Des lieux de travail peuvent être créés afin d’encourager cette sensibilisation. Par exemple, beaucoup m’appellent le « maniaque des tableaux blancs » car j’installe d’immenses tableaux blancs, larges comme les murs, dans tous les projets. De tels tableaux sont un outil utile qui facilite les conversations, surtout si vous n’effacez pas les notes et dessins ; il s’agit de laisser des traces de votre processus intellectuel.
Un des principaux problèmes dans les bureaux, aujourd’hui, est ce besoin compulsif d’un « bureau propre ». Ces politiques du « laissez ce bureau en bon état » suppriment toutes les notes et idées génératrices. Le « bureau flexible » a engendré une culture de l’effacement et du rangement : ces espaces sont les environnements de travail les plus ternes qui soient, ils manquent complètement d’identité. Le siège de Nokia à Helsinki par exemple est un immeuble superbement conçu, mais lorsque j’y entre, je suis incapable de dire quelle est la spécialité de l’entreprise : ce pourrait être une compagnie d’assurances, une banque, un hôpital ou n’importe quoi d’autre. Ce bâtiment n’a pas la moindre identité car personne n’y laisse quoi que ce soit. Comment peut-on apprendre les uns des autres si l’on ne sait pas ce que chacun fait ? La sensibilisation est essentielle.
L’autre aspect capital est l’accessibilité. Savoir ce que chacun fait ne sert pas à grand-chose si l’on n’a pas la possibilité d’interagir. Mettre les gens dans des boîtes est une très mauvaise idée. Une porte fermée agit comme une barrière psychologique qui crée une séparation décourageant l’interaction. Dans les grands complexes de bureaux américains, faits de grands open spaces et de bureaux à cloisons, il est difficile de savoir où sont les gens. Ils n’ont pas accès les uns aux autres. Nous pouvons créer des espaces plus ouverts qui mettent l’accent sur « l’orientation ».
Or tout cela mène au troisième facteur : l’engagement. S’il n’y a pas de temps, d’énergie ou de confidentialité pour entrer en discussion, aucune n’aura jamais lieu. « Oui c’est super, je sais ce que vous faites car j’y ai été sensibilisé, j’ai réussi à vous trouver car votre bureau est accessible, mais maintenant, il faut que nous trouvions un endroit en dehors de notre lieu de travail pour nous retrouver et parler sans déranger les autres ». Cela suppose de mettre à disposition différents types d’espaces où les gens peuvent se retrouver formellement, informellement, en groupes, connectés aux technologies, avec un bon design, de la nourriture, du café et tout ce dont ils pourraient avoir besoin. Chez Google, les centres d’assistance technique sont couplés à un programme secondaire de restaurant informel. Ainsi, pendant que vous attendez le support technique, vous pouvez boire un café et interagir avec les gens de l’immeuble, ce qui engendre une fusion créative entre les différents départements. Cela peut mener à toutes sortes d’innovations techniques.
Enfin, il y a la confiance, essentielle à tous les niveaux. Comment créer un environnement où les gens soient suffisamment à l’aise pour faire confiance et se sentir en confiance ? Si les gens se sentent valorisés, il est probable que les gens se fassent aussi confiance entre eux. Ce qu’on peut faire, en premier lieu, est de concevoir des espaces à échelle humaine, où l’on se sent bien et qui expriment toute cette confiance. Je n’ai pas la solution mais je la devine. En parcourant les bureaux Google ou Nike, on le perçoit tout de suite. Ce n’est pas quelque chose qui peut être inscrit sur un mur, mais c’est une sorte d’ouverture du design et des procédés qui occultent la transparence. Il s’agit de montrer que l’organisation est digne de la confiance de ses employés. Le succès tient à la fierté, la transparence et la conscience de ce que tout le monde fait.