Des fermes dans la ville
Stream : En parlant de faible densité, pouvez-vous nous en dire plus sur le phénomène de l’agriculture urbaine à Détroit ?
Dan Pitera : L’expression « agriculture urbaine » n’est en fait qu’à moitié exacte. Quand on transplante une ferme rurale dans la ville de Détroit, on n’obtient pas une ferme urbaine, mais juste une ferme. Je pense que la question qui se pose est de savoir ce que signifie vraiment le fait d’avoir une ferme « urbaine ». À l’heure actuelle, étant donné la quantité de terres disponibles et le peu d’opportunités qu’ont les habitants pour trouver des produits frais au cœur de Détroit – il y a de très bons supermarchés, mais l’offre reste très limitée par rapport à d’autres villes –, certaines personnes décident d’installer de petites fermes au sein de la ville. Avec le temps, on en est arrivés à avoir des centaines et des centaines de petites fermes, mais aussi de plus vastes, sur plusieurs hectares. Cela dit, la logique reste celle des fermes rurales. La question que nous voulons poser est de savoir si l’on peut créer des fermes qui alimentent la population, qui puissent s’inscrire dans un effort communautaire, mais qui soient aussi conçues comme des fermes urbaines, différentes des fermes rurales. Nous n’avons pas beaucoup d’exemples de cela à ce stade, voire aucun en fait, et nous espérons que maintenant que notre agriculture est florissante nous pourrons réfléchir à la conception d’une agriculture urbaine qui contribue à créer de la densité. Mais cela doit nécessairement avoir lieu à une échelle beaucoup, beaucoup plus importante.
Il y a une zone de Détroit qui revient souvent quand on pense à l’agriculture urbaine, c’est Brightmoor, à l’extrémité nord-ouest de la ville, une zone qui s’appelle Farm Way et dans laquelle vous pouvez vous promener. Il y a une vieille maison abandonnée qui a été repeinte et qui est devenue une sorte de tableau d’affichage communautaire, ou une autre qui a été convertie en amphithéâtre. En tant qu’objets, ces maisons sont merveilleuses. Peut-on qualifier cela d’urbain ? C’est la grande question. C’est plus que de la campagne, ce n’est plus rural, mais urbain…
Stream : C’est aussi un moyen de survie pour les personnes qui y habitent.
Dan Pitera : Exactement. Cela se rapporte à l’autre partie de ma réponse, qui est que ces fermes ne sont pas là uniquement en raison du manque de disponibilité de produits frais. Beaucoup d’entre elles sont commerciales, exploitées pour gagner de l’argent et survivre. Quelques-unes sont parfaitement capables de générer un revenu décent.
Stream : Il y a tout un débat sur le fait de rapprocher l’agriculture des villes pour des raisons écologiques. Mais en ce qui concerne Détroit, pensez-vous qu’il ne s’agisse que d’une phase due à la crise ? Et que se passera-t-il pour ces fermes si la terre reprend de la valeur avec le développement immobilier ?
Dan Pitera : C’est un problème majeur qui renvoie à votre question sur la stabilisation. Pour en revenir à la notion générale d’un plan cadre, la raison pour laquelle il ne s’agit pas seulement d’un plan d’urbanisme classique, c’est qu’il prend en compte les quartiers, la croissance économique, l’engagement civique, l’occupation des sols, les systèmes urbains ou l’affectation du territoire public, et que tous ces éléments doivent travailler de concert. Nous ne pouvons pas partir du principe que parce que nous avons publié ce plan cadre, les concepts que nous développons aujourd’hui vont se perpétuer. On parle d’évolution, et il est normal que les choses bougent, changent. Ce que nous essayons de faire, mis à part développer un cadre que les gens puissent suivre, c’est aussi changer les politiques afin de favoriser l’émergence des bonnes idées, pas seulement maintenant mais pour le futur. Cela a en partie à voir avec la question de la gentrification : il y a beaucoup de gens à Détroit qui travaillent dur pour faire de la ville un meilleur lieu de vie. Ces personnes seront-elles évincées dans le futur parce que les revenus et la valeur du foncier augmenteront ? Une grande partie du travail dont nous parlons à l’heure actuelle porte donc aussi sur le fait de repenser les politiques de façon plus créative.
La loi qui a légalisé l’agriculture urbaine à Détroit date de mai 2013. Les milliers de fermes que nous avions – avec des chèvres, des poules et même des vaches – étaient toutes illégales jusque-là. Il y en a de nouvelles, mais cela fait des dizaines d’années que cela dure. Si l’agriculture urbaine a été légalisée, c’est qu’il y avait tellement de fermes qu’il était devenu impossible de continuer à les ignorer. Il n’y a pas qu’une association qui s’intéresse au sujet de l’agriculture urbaine, mais près de dix grosses organisations qui travaillent en ce sens – le Detroit Fair Food Network, le Greening of Detroit, et d’autres encore. C’est une situation très différente de celle que l’on trouve dans d’autres villes.