C’est un fait, la communication a changé avec la technologie. Elle ne permet pas littéralement de parler avec tout le monde, mais libère au moins de l’impératif de la proximité. La localisation du « groupe critique de dialogue » – les dix, quinze personnes avec qui je discute – a changé. Que ce soit depuis la Chine ou les États-Unis, nous pouvons parler sans limite géographique. Deuxième grand changement : la libération de l’individu envers les réseaux. Lorsque j’ai élaboré le concept d’« architecture mobile », dans les années 1950, je pensais que l’homme était limité par les réseaux, qu’ils soient téléphoniques, électriques… Mais aujourd’hui nous n’en sommes plus dépendants ! Nos téléphones portables sont alimentés par des batteries qui étaient inimaginables il y a 50 ans. Elles représentent certainement le changement le plus important de la vie moderne, et lorsqu’elles seront totalement alimentées par l’énergie solaire nous deviendrons véritablement indépendants du réseau électrique.
Mais la technologie moderne n’est pas toujours bien exploitée. L’organisation digitale change le comportement urbain. Les gens travaillent aujourd’hui sur ordinateur, il n’est donc pas nécessaire de les concentrer dans un gratte-ciel de 56 étages. Cela ne crée que des embouteillages et une surcharge disproportionnée du système de circulation, des thromboses en quelque sorte. Ce travail pourrait être fait à domicile, si celui-ci était plus adapté au travail. L’industrie est également automatisée, un contremaître ou un ingénieur peuvent diriger leur usine depuis chez eux.
Il nous faut en revanche nous interroger sur ce que la technologie n’apporte pas : un service personnalisé, nécessairement humain. Il nous reste à découvrir l’entreprise à une seule personne : l’électricien, le plombier ou l’infirmière sont des modèles de métiers personnels et humains. Un secteur d’emploi se ferme, un autre s’ouvre. Cela va profondément changer la proximité urbaine. Lorsque j’étais étudiant, on nous apprenait l’importance de la place du marché, car c’était le lieu où les gens se rencontraient. Mais c’est du passé. Je ne vois jamais de rencontres dans les supermarchés, d’autant que les gens font de plus en plus leurs courses par internet. La rencontre ne passe plus par la grande place centrale, le marché, mais par le téléphone, médium servant à se donner rendez-vous. La proximité n’est plus nécessaire, la technologie moderne permettant ainsi aux villes de se diluer. C’est complètement nouveau et nous n’avons pas encore inventé comment l’appliquer, mais c’est possible.
On parle tout le temps de Grand Paris, ce qui est une des plus grandes erreurs de l’après-guerre. Se rendre à Pantin aux heures de pointe prend sûrement plus de temps que d’aller à Bruxelles. L’Europe doit être considérée comme une ville dont le métro serait le TGV. Politiquement, il ne manque plus que la carte orange européenne ! La proximité urbaine a changé et nous assistons à l’émergence du continent urbain. Au Japon, il existe depuis longtemps des TGV avec des fréquences proches de celles d’un métro. Si je décide que la proximité correspond à 3h de trajet, alors Londres, Paris, Bruxelles, Amsterdam, Milan, Marseille, Lyon ou Bordeaux… forment une seule et même ville. C’est un scénario que j’avais envisagé il y a 50-60 ans et qui devient aujourd’hui réalité grâce au TGV, aux batteries et aux téléphones portables.