Ainsi qu’en témoigne l’implantation de Renault un peu plus loin, l’âge d’or de l’industrie florissante et conquérante, celle des « Arts et Industries » pour reprendre le titre d’une élégante revue d’architecture de l’époque, n’hésite pas à mettre les usines au bord de la Seine, face au Parc de Saint-Cloud et aux terrasses de l’ancien château de « Monsieur », duc d’Anjou, frère de Louis XIV.
L’architecte du « 46 », Adolphe Bocage, est l’incarnation même de ces talents créatifs qui ont œuvré au tournant du siècle, capable de passer d’une subtile écriture architecturale Art nouveau dans plusieurs immeubles d’habitation parisiens, à une modernité de constructeur ingénieur. Il reprend ici, dans ce qui sera l’un de ses derniers ouvrages, les principes de l’Art déco : simplicité des formes, géométrie, cohérence structurelle, utilisation du béton armé. Il annonce aussi le changement d’échelle de la ville et la vision de la modernité.
Soixante-dix ans après sa création, Thomson Multimedia rachète le bâtiment pour en faire son siège social. L’usine se transforme en bureaux – on passe du secteur secondaire au tertiaire. Sans changer fondamentalement la structure atypique du lieu, l’entreprise y instaure avec talent et beaucoup d’intuition un espace organisationnel de travail et de recherche unique et, à bien des égards, avant-gardiste. Elle invite des designers reconnus comme Philippe Starck mais aussi de jeunes talents à y développer de nouveaux produits. Elle convie l’artiste Daniel Buren et l’architecte Patrick Bouchain, qui s’approprient avec intelligence, quelques années avant Per Barclay, le centre névralgique de l’immeuble, lieu de croisement et de transmission. Daniel Buren investit les escaliers monumentaux et les baies vitrées des quatre grandes façades de l’atrium tandis que Barclay s’empare de la surface au sol, tous deux révélant, soulignant l’ordonnance rythmée et la monumentalité de l’architecture. L’immeuble du quai Le Gallo étant devenu trop grand et techniquement obsolète avec le développement des nouvelles technologies, le groupe Thomson Multimedia, rebaptisé Technicolor, déménage en 2010 à Issy-les Moulineaux. Ses anciens collaborateurs évoquent encore avec nostalgie la beauté d’un cadre verdoyant, avec vue sur le fleuve, leurs conditions de travail exceptionnelles en dépit d’un contexte économique tendu, et surtout l’incroyable dynamique humaine du lieu qui renforçait l’esprit d’entreprise.
La Société Foncière Lyonnaise, propriétaire de la bâtisse depuis 1999, décide alors de transformer cet édifice au passé glorieux en un nouvel archétype de bâtiment tertiaire dont le design, la fonctionnalité et le confort des espaces de travail favoriseront l’innovation et l’épanouissement des talents. Ainsi naît le projet « In/Out », dont l’idée maîtresse est celle d’un grand campus urbain dans l’Ouest parisien, au cœur de la « Vallée de la Culture », un site qui allie urbanité et nature. Un ensemble immobilier singulier avec 30 000 m 2 de bureaux performants conçus pour faciliter le travail et la communication de centaines de personnes, et un pôle de services établi dans une nouvelle construction au design résolument contemporain. Les instigateurs de ce vaste projet ambitionnent ainsi de préserver un remarquable patrimoine industriel et culturel sans oublier l’approche environnementale. « In/Out », c’est la renaissance d’un lieu d’exception, un lieu où la culture et la création artistique doivent côtoyer et faire fructifier les activités des entreprises, donner de la citoyenneté et du sens à ceux qui y vivent et y travaillent.