Dans cette dernière œuvre, dessin mural aux dimensions identiques à l’original, le trajet effectué par les yeux de l’artiste sur une toile du Caravage est exposé au regard du spectateur. Ainsi, ce n’est plus l’œuvre que donne à voir l’artiste dans sa démarche appropriative, reproductrice mais sa perception, voire même sa propre appropriation de l’œuvre, soit ce qu’il en a retenu de façon rétinienne. Dans un reportage consacré à son travail, David Hochney rappelle cette chose importante que le regard — l’exploration — de chaque regardeur sur un tableau est unique, originale. si le regardeur fait le tableau, chaque regardeur fait un tableau différent. Dans le cas de Julien Prévieux, ce n’est plus le discours qui vient décrire le tableau, comme le ferait Daniel Arasse en nous donnant à voir les détails de la peinture, mais le simple chemin rétinien, preuve et témoignage de sa lecture du tableau. L’équivalence s’en retrouve biaisée, bien que le dérivé porte a priori le même titre que l’original.
Le prélèvement dans le réel peut aussi être l’occasion d’une lecture différente de celui-ci. Il est alors détourné, parodié, exacerbé, actions qui conduisent à le remettre en cause. L’artiste devient alors un activiste, avec plus ou moins de moyens. Dans le cas de Julien Prévieux, il s’agit d’un hacker low-tech, se battant avec des moyens efficaces, mais définitivement peu coûteux et démonstratifs. Parodie, étymologiquement, signifie la voie de traverse, le chemin que l’on prend de côté, un engagement non frontal vis-à-vis des choses où il n’est pas nécessairement et uniquement question de ridiculiser l’objet considéré
« Éclairage illicite », suite de cinq dessins sur papier, réactive cette parodie de reproduction, en jouant sur le détournement. Réalisé en 2006, suite à une commande de la société 1664, Julien Prévieux s’amuse à contourner la loi évin afin de montrer des individus en train de boire de l’alcool, en l’espèce de la bière 1664. Grâce à l’utilisation d’une encre blanche phosphorescente emmagasinant la lumière du jour et se révélant dans la pénombre, les scènes de consommation d’alcool représentées ne pouvaient se lire qu’une fois la nuit tombée.C’est sans doute cette pratique parodique qui convient aux « Lettres de non-motivation » et à l’œuvre en plusieurs parties « À la recherche du miracle économique ». Ou ce que l’on pourrait appeler l’introduction, l’intrusion d’une logique dans une autre, d’un système autonome et porteur de sens à l’intérieur d’un système déjà efficace et efficient.Avec ses « Lettres de non-motivation », Julien Prévieux devient le révélateur du système actuel d’embauche et de candidature, faisant de sa démarche contre-productive un acte de résistance.
Pendant plusieurs années, l’artiste a répondu par la négative à des offres d’emploi, faisant de ces réponses déclinant les propositions d’embauche la matière d’un travail à plein temps. Cette activité complexe, coûteuse et suivie (recherche des annonces auxquelles répondre, recherche des éléments permettant de motiver l’absence de motivation, affranchissements des courriers, relance des éventuelles réponses) devient alors un long et multiple refus de travailler, notamment dans les conditions proposées par les offres d’emploi. En effet, chaque offre est systématiquement refusée par un Julien Prévieux s’imaginant le destinataire privilégié de ces offres et endossant tour à tour différents profils de chômeurs (surbooké illettré, paranoïaque, défenseur de l’environnement…). Chaque réponse fait l’objet d’un traitement spécial, sorte d’exercices de style à la mode laborieuse, et d’une invention personnalisée. Ainsi, la lettre de non-motivation envoyée à l’entreprise Henkel, groupe spécialiste de la chimie appliquée, met-elle en avant le paradoxe d’une multinationale ayant pour slogan « A Brand like a Friend » et productrice de produits polluants et de catastrophes écologiques. La plupart du temps, les réponses émanant des Directions des ressources humaines sont des lettres-typesL’une des dernières lettres envoyées par Julien Prévieux est une lettre-type de réponse, à laquelle fut répondu une lettre-type de réponse… qui n’ont pas pris en compte le propos du texte envoyé ou qui n’ont pas su y voir le caractère différent du postulant. Preuve que ces lettres de motivation, « jeu social à sens unique », sont rarement lues et comprises. Dans quelques cas, la réponse est personnalisée, essentiellement lorsque l’entreprise voit sa réputation mise à mal par l’artiste, comme Henkel essayant de redorer son image.
Julien Prévieux : « Le test de Turing est un test conçu par Alan Turing dans les années 50. Il a pour but de distinguer l’homme de la machine. Pour conserver la simplicité et l’universalité du test, la conversation est limitée à un échange textuel entre les protagonistes. Sur plus de mille lettres de non-motivation envoyées, seuls cinq correspondants ont passé le test avec succès. »