Chaque ville est un écosystème créatif
La ville vivante, c’est la capacité à comprendre l’autre et la façon dont il interagit avec son environnement socio-territorial-urbain. Augustin Berque appelle cette relation au milieu l’écoumène, actualisant cette idée de terres anthropisées établie déjà par Eratosthène au IIIe siècle av J.-C. Il cite en ouverture de son livre[1] la phrase de Jean-Marc Besse : « entre moi et moi-même, il y a la Terre ». Le monde est un tout et l’homme, pour reprendre Edgar Morin, a séparé artificiellement des choses naturellement liées. Nous appartenons à un monde complexe, composé d’éléments transverses, d’interrelations, d’interdépendances. La ville vivante n’est autre que la ville qui considère l’ensemble de ces relations pour permettre l’émergence de nouvelles idées, pratiques et réalisations.
La smart city est humaine avant d’être technologique. Une ville comme Medellìn est un exemple formidable de résilience, de réinvention, de créativité low tech. L’implication de la société civile dans l’identification de ses maux et dans l’envie d’apaiser l’une des villes les plus violentes au monde – du fait de sa domination par la mafia – a joué un rôle fondamental. Elle s’est reconstruite en faveur de la vie et a donné naissance, à ce moment, au mouvement Cities for life, qui a pu prendre une ampleur internationale. Mais rien n’est acquis, l’impermanence est un élément à garder très présent dans l’incertitude de notre devenir. Il y a aussi des villes qui meurent, comme les villes industrielles de la rust bell, aux États-Unis, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne peuvent renaître – Détroit en est la preuve – au travers d’une réappropriation citoyenne et selon les logiques du do it yourself.
La ville vivante est un écosystème créatif dans lequel citoyens et gouvernance peuvent échanger de manière transverse, où la manière de construire n’est plus dictée par une verticalité de la technologie ou de l’architecture. Il s’agit d’une ville à l’écoute, à la recherche de son rythme, de sa respiration, selon un processus au long cours.
La notion de « ville vivante » est profondément liée à l’idée de « métabolisme urbain ». Cette image fait référence au processus de transformation que la ville est capable de mobiliser au sein de l’environnement dans lequel elle puise ses ressources. L’absorption d’oxygène et le dégagement de dioxyde de carbone, la filtration du sang, les battements du cœur… représentent une base fonctionnelle qui doit s’enrichir d’une émergence nouvelle. En ce sens je suis extrêmement favorable à la capillarité inter-villes face aux États-nations. L’hypermétropole virtuelle SAN-SAN (San Francisco/San Diego) représente 68 millions d’habitants, tandis que l’hyperagglomération virtuelle BOS-WASH (Boston/Washington) regroupe 70 millions d’habitants. Ces deux grappes, théorisées et identifiées par le géographe visionnaire Jean Gottmann en 1961 dans son livre « Megalopolis », dégagent une vitalité urbaine extrêmement différente de celle de l’État fédéral, ce que l’on constate par exemple au niveau électoral. Ce sont elles qui résistent aujourd’hui en première ligne à la politique du président Trump, qui lancent des appels pour respecter les accords climatiques, qui se battent pour défendre les immigrés et de nombreuses libertés fondamentales… Cette vitalité urbaine forme un contre-pouvoir à l’État-nation qu’il est fondamental de maintenir pour préserver une vie humaine riche et plurielle.