Vers des écologies synthétiques
Stream : Ma question concernait la relation avec l’étude de processus naturels de croissance, que vous expliquez comme un processus métaphorique. Il s’agit d’une étude de la façon dont les choses se créent elles-mêmes au sein d’un système complexe. Est-ce que votre intérêt en la matière est motivé par ce qui peut être perçu comme une rupture dans notre relation à la nature ? Nous devrions peut-être réussir à construire une relation plus étroite avec la nature, au-delà d’une division entre objets et êtres humains, sur un plan plus hybride.
Alisa Andrasek : Oui, en architecture la relation au monde du vivant et à la nature est souvent traitée de façon plutôt métaphorique. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, car cette approche peut en effet permettre de trouver des raccourcis utiles pour obtenir certains résultats.
Nous cherchons à définir des moyens de prendre en compte la complexité de façon explicite au sein d’écologies d’environnements bâtis. Et dans cette optique, notre approche a consisté à apprendre de la complexité de la nature, plutôt que d’essayer de l’imiter ou de la dépeindre. Il ne fait ainsi pas vraiment sens de recréer des formes de vie qui existante, puisque précisément elles existent, et qu’elles sont merveilleuses. La question est plutôt de voir ce que nous pouvons apprendre de certains de ces systèmes et de ces principes dans le contexte des problèmes de design, d’architecture ou d’écologies urbaines. Comment mettre alors en pratique certaines de ces logiques, certains de ces processus, certaines de ces philosophies même, puis comment réussir à les transformer même si elles ne concernent qu’un petit aspect de la façon dont les choses sont habituellement menées ? Tout cela pourrait générer une révolution globale dans le domaine de la constructibilité et d’autres aspects de l’architecture. Dans un sens, c’est ainsi que j’ai construit mon approche du sujet des écologies synthétiques, plutôt que de m’intéresser au biomimétisme ou à l’apparence des éléments organiques ou de tout autre chose comparable. Les résultats issus de ce processus se caractérisent souvent par des contraintes distribuées de façon plus complexe, les formes obtenues ont donc plus de courbes et l’on dit souvent qu’elles ont l’air « naturelles ». Mais ce n’est pas l’objectif premier de mes recherches, même si je suis aussi très intéressée par le fait d’explorer de nouvelles voies esthétiques.
Stream : Il a toujours été très clair pour moi que vous n’étiez pas ancrée dans une logique de biomimétisme mais que vous étiez intéressée par les processus complexes, et que, bien sûr, vous aboutissiez nécessairement sur une forme matérielle. En matière d’architecture, c’est là le défi : nous avons besoin d’aboutir sur cette forme. Et vous, vous partez de celle-ci.
Alisa Andrasek : Oui, mais je ne crois pas que ce soit nécessairement le seul résultat auquel nous aboutissions. En effet, si l’on regarde les modes de production, que je considère parfois comme plus importants encore que la forme, ils sont comme bloqués dans un autre temps. À l’heure actuelle, c’est toujours le mode de production industriel qui prédomine, avec ses nombreux éléments répétitifs modulaires, ses parties qui s’emboîtent, etc., et nous faisons aussi face au monstre gigantesque qu’est le secteur du BTP, totalement figé dans ses habitudes. C’est une grosse machine économique, alors comment faire pour s’y immiscer ? Mon idée a toujours été de chercher à révolutionner la constructibilité et la fabrication, c’est-à-dire ce que nous appelons généralement les « modes de production ». Ensuite, certains langages, certaines expressions et certaines matérialités novatrices pourront émerger de cela. Il s’agit de redessiner le processus en entier, l’écologie globale de la conception, plutôt qu’un seul objet. C’est pourquoi le fait que nous travaillions avec du code signifie aussi qu’une certaine séquence de code pourrait être développée dans le cadre d’un projet, puis être reprise dans un autre en combinaison avec de nouveaux blocs de code. Je suis très intéressée par le fait de trouver des moyens d’étendre l’utilisation de cette intelligence à d’autres échelles et de ne pas m’arrêter à la création d’objets.