Le temps de la conception urbaine n’a pas encore rejoint celui de la vie de l’arbre
Le temps de l’arbre est bien plus long que celui de l’homme et planter un arbre revient à se projeter dans un avenir multi décennal. Aussi est-il important pour les porteurs de projet d’accepter de planter de jeunes sujets, bien qu’à l’inauguration d’un projet, l’effet puisse paraître décevant. Un arbre planté petit s’adapte mieux aux contraintes de son environnement et devient ainsi plus robuste et résistant. Il devient également fondamental d’adapter le choix des essences urbaines aux estimations d’accroissement des températures pour ne pas condamner les jeunes sujets dès leur plantation. La disponibilité en eau et nutriments et, de fait, la nature des sols et leur épaisseur, représentent quant à eux un enjeu majeur pour la longévité du patrimoine arboré des villes. Un impératif qui sonne comme un paradoxe dans un milieu urbain largement imperméabilisé, rarement pourvu de pleine terre et aux sous-sols encombrés de réseaux.
Planter la ville sur la ville
Limiter l’étalement urbain pour préserver les terres fertiles implique de densifier les villes, alors même que celles-ci cherchent à faire pénétrer la nature en leur sein. Les municipalités et métropoles font donc face à une contradiction spatiale qui les pousse à favoriser la mise en place d’écosystèmes hors sols. Les jardins en toiture, les « forêts verticales » et les jardins sur dalle, dont la plus grande réussite est probablement le jardin Atlantique de Michel Péna, fleurissent en milieu urbain. Les aménageurs que nous sommes répondent de bon cœur à cette demande justifiée. Cependant, il est nécessaire d’évaluer la balance entre les coûts et les bénéfices de la création de ces « artefacts naturelsWaller, M., Artefacts naturels – nature, réparation, responsabilité, Éditions de l’Éclat, 2016 » pour proposer un projet porteur de qualités.
La portance des infrastructures est l’une des principales contraintes auxquelles les arbres plantés en toitures ou sur dalle sont soumis. Les rapports de charges n’apportent que rarement les épaisseurs de terre nécessaires au développement de grands sujets (1m50 dans l’idéal), dont le stress hydrique aggravera le développement atrophié. Quant au C0₂, le gain apporté par ces arbres n’absorbera qu’au bout de plusieurs décennies celui émis pour les renforcements structurels nécessaires à leur plantationL’architecte Philippe Rahm a calculé, dans une étude sur la Défense, que le CO₂ émis par le renforcement des infrastructures pour planter la dalle ne serait absorbé par ces même arbres qu’au bout de 70 ans « Urbanisme : la poussée des villes-forêts divise les architectes paysagistes », Le Monde, 2020..
Au bout d’un certain nombre d’années, une autre contrainte apparaît, celle de la réfection de l’étanchéité de la toiture-jardin (en particulier lorsque les espaces sous-jacents sont habités). Ceci entraîne une destruction du jardin sur dalle au mieux 20 ans après son installation, vouant l’écosystème à une disparition prématurée. Cette même contrainte d’étanchéité entre, qui plus est, en contradiction avec les besoins des végétaux en eau et son stockage dans les sols. Pour y pallier, des procédés innovants se développent, comme des surfaces alvéolaires faisant office de réservoirs, mais leur poids reste limitant.
Enfin, l’entretien de sujets haut perchés peut s’avérer onéreuse dans certains cas, comme dans le cas du Bosco Vertical à Milan, où des opérations d’élagage à l’aide de cordes et de grues ont lieu plusieurs fois par an. La recherche expérimentale sur ce projet a pourtant été particulièrement importante pour adapter les 700 arbres à leur condition de vie extrême. Les sujets ont d’abord été élevés en pépinière et soumis à des vents et des enserrements racinaires semblables à leur futur environnement hors sol. Mais plutôt que d’axer la recherche sur les contraintes à appliquer au végétal pour l’adapter à l’architecture, n’est-il pas plus sensé de concevoir une architecture propice aux besoins du vivant ? D’ici là, nul doute que le meilleur moyen de végétaliser l’architecture reste l’usage de plantes grimpantes dont la croissance est rapide, la floraison parfumée, les besoins en terre bien moindres que ceux des arbres, et la couverture foliaire (lorsqu’elles croissent sur des ombrières) toute aussi vaste.
De l’artefact naturel à l’urbanisme végétal : co-signer un projet avec la nature
S’il n’y a pas de vie sans eau, il n’y a pas d’arbre sans terre. Outre son poids, son origine pose une question majeure. En milieu naturel, il faut 3 000 ans pour générer 30 centimètres de terre végétaleSégur, F. « Solutions fondées sur la nature », Stream 05 Nouvelles Intelligences, PCA Éditions, 2021, à paraître, surface que l’on arrache pour approvisionner les chantiers de végétalisation des villes. Des équipes de chercheurs du Plan Canopée du Grand Lyon et de la Seine Saint-DenisProjet Terres Fertiles 2.0, dans la Vallée de la Chimie (métropole de Lyon) et projet Lil’O (Ile Saint Denis) tentent ainsi de recréer artificiellement un sol vivant en recyclant des terres inertes, en les enrichissant en micro-organismes et en accélérant le processus de formation d’un sol organique. Cette « solution fondée sur la nature » permettrait ainsi de pallier un manque de matériau, fondamental à la végétalisation des sols artificialisés, qu’il s’agisse de rues, de dalles ou de toitures.
Mais le meilleur moyen de prendre en compte le fonctionnement des écosystèmes reste de « cosigner un projet avec la nature ». Planter au sol, faire avec l’existant, s’appuyer sur les mécanismes à l’œuvre, se saisir de la nature comme d’un préalable à l’urbanisation, naturaliser les cœurs d’îlots et densifier les espaces de nature urbaine… tout ceci dessine les contours d’un urbanisme végétal. Le projet de renaturation d’une rivière (l’Aire, Suisse), par l’architecte Georges Descombes, qui laisse l’eau tracer son propre chemin, ou le concept de « natures intermédiaires » de Michel Desvignes, faisant du paysage un précédent à l’édification des quartiers, en sont de parfaits exemples. D’autres attitudes de soin envers la nature, ses besoins et ses mécanismes sont possibles : Densifier les plantations dans les mal nommés « vides » de la ville, souvent pleins de vie. Planter au pied des arbres et sur les trottoirs, aménager des fosses continues et des chaussées réservoirs, désimperméabiliser les places, se reconnecter aux entités paysagères comme les fleuves ou les bois, créer des continuités entre les parcs existants pour former un grand ensemble urbain Proposition de la création d’un grand parc central à Paris, PCA-STREAM – Pavillon de l’Arsenal, Champs-Élysées, Histoire et perspectives, catalogue d’exposition, 2019. Autant de principes qui participent à l’écriture d’un nouveau récit urbain, pour que celui-ci ne soit plus synonyme de pollution ni de suffocation et respecte les conditions de déploiement du vivant.
De plus en plus, les chercheurs, les entrepreneurs, les aménageurs… construisent une vision positive de l’avenir à partir de données sensibles et qualitatives plutôt que quantitativesLabouz, Lumbrozo, Vial, Lacroix, « Biodiversité : visions et stratégies, 6 visions pour préserver la biodiversité à horizon 2050 », in Futurisible, mars-avril 2021. . Considérés comme des biens communs – un patrimoine partagé, non soumis à la propriété privée et géré pour être régénéré -, l’arbre, le sol ou l’air que nous respirons pourraient acquérir des droitsCabanes, M. Un nouveau droit pour la Terre, pour en finir avec l’écocide, Collection Anthropocène, 2016 , Calmet, M. « Expérimenter et transmettre un nouveau droit écosystémique », Stream 5 Nouvelles Intelligences, PCA Éditions, 2021, à paraître, une gouvernanceSous la direction de Cornu, M. Orsi, F. Rochfeld, J. Dictionnaire des biens communs, Presses universitaires de France, 2021 propres et ainsi devenir des entités visibles – par-delà leur seule matérialité – dans notre cadre juridique, au point de devenir incontournables dans les projets.
Jasmine Léonardon, Paysagiste, chargée de recherche, rédactrice en chef adjointe de Stream