Vous êtes également lauréate, avec les architectes Philippe Rahm et Ricky Liu, du Gateway Park à Taïwan. Dans un contexte où le climat subtropical et la pollution poussent les habitants à se réfugier dans des espaces climatisés et à ne profiter de l’espace public que la nuit, vous avez conçu un parc susceptible de « réhabiliter le jour ». Pour cela, le projet investit un certain nombre de paramètres – dont l’humidité, la pollution et la température – en invitant à utiliser différemment l’espace selon les niveaux de confort offerts. Le vivant peut-il ainsi jouer un véritable rôle dans l’amélioration de l’ambiance et du confort urbain ?
Le végétal est un des paramètres de cette hypothèse de confort. Un élément ou une situation doivent à mon sens avoir plusieurs fonctions et ne jamais servir qu’un seul objectif. Philippe Rahm a conçu des installations de pondération de l’atmosphère : des brumisateurs, déshumidificateurs ou encore des réflecteurs. Nous avons traité la topographie sur 70 hectares, ainsi que la qualité des sols et de l’eau. La gestion des eaux de pluies rejetées par les sols imperméables des 250 ha couverts par le nouveau quartier en projet de Stan Allen était un enjeu crucial, en particulier dans ce milieu tropical humide où les moussons ont des impacts lourds sur les environnements urbains. Comme la plupart des parcs urbains récemment dessinés, celui-ci a vocation à être une « éponge » au cœur de la ville, de manière à contrôler les risques d’inondation.
Le plus simple pour absorber l’eau est de créer des « trous » et des « bosses » afin de la capturer au plus près de là où elle tombe. Plus l’eau se déplace avant de s’infiltrer dans le sol, plus elle passe de la goutte au filet, puis au torrent… Les creux accumulent l’eau comme des réservoirs et ménagent des stations de fraîcheur. Il était exigé de ne pas transférer les déblais hors du parc ; la vertu de ce projet est ainsi de valoriser les ressources en place. Nous avons proposé des topographies macro et micro avec des ouvrages qui introduisent des « collines » et des « montagnes » pouvant atteindre 15 m de haut. Ces reliefs permettent d’échapper quelque peu aux emprises surplombantes de la future skyline du quartier d’affaire mitoyen et de franchir les trafics qui croisent le parc. D’autres macros topographies forment des « drapés », couvrant jusqu’à deux hectares, sous lesquels il est possible de se réfugier. La sensation de fraîcheur y est semblable à celle d’une cathédrale ou d’une grotte en été.
Le projet investit plusieurs paramétrages : la gestion des eaux par la topographie et les qualités de sol, mais aussi celle de la température/hygrométrie et de la pollution. Des stations de confort ont été entre autres distribuées selon l’impact de la skyline du futur quartier sur la température – en termes d’ombres portées et de courants d’air – auxquels s’additionne la trame des arbres et des lits topographiques dans lesquels l’eau s’accumule. Tout ceci dans le but de pondérer la sensation de chaleur. Pour cela, nous avons choisi des arbres aux très grosses feuilles et aux canopées élargies, comme le camphrier, apportant une ombre dense et fraîche. D’autres, comme le Phellodendron amurense, produisent du liège et pondèrent la pollution sonore du trafic automobile, tandis que le duvet – les trichomes – des feuilles et tiges de certaines espèces comme le Paulownia x taiwaniana accumule les particules de pollution de l’air. Une plante ne peut à proprement parler réduire l’humidité, elle n’est qu’un vecteur de transit et de transformation, selon sa physionomie singulière. Les stipes des fougères arborescentes et les racines aériennes partant des branches des ficus s’abreuvent de l’humidité ambiante, mais pour ne citer que les effets induits du vent et des aléas climatiques, aujourd’hui nombreux, le contrôle ajusté en milieu ouvert urbain est une vision de l’esprit, à l’inverse d’une emprise climatisée close, où il est bien réel. Les extrêmes sont ici pondérés par l’épaisseur du trait du dessin, mais pas annulés. Enfin, la palette végétale de la strate arbustive et herbacée des lits topographiques, avec plus de 40 000 plants, traite les eaux polluées par phyto remédiation.
Les typologies végétales se combinent ainsi à une diversité de paramètres et ne peuvent rendre un service de manière solitaire et isolée. La strate arborée – de l’ordre de 12 000 pieds – est en interface avec le design de l’atmosphère et de la lithosphère. Celles-ci se complètent inévitablement et introduisent des stations de fraîcheurs éloignées de la pollution ainsi que des étendues d’eaux. Des parcours aux vocations différentes les relient les unes aux autres. Les parcours les moins pollués sont dédiés à la petite enfance, aux familles et aux jeux. Les plus ombragés sont propices aux loisirs, aux rencontres, aux kiosques, tandis que ceux qui restent hors d’eau, même lorsque le parc est inondé sur 80% de son emprise, accueillent les activités sportives.