La grande densité et le mélange progressif des classes sociales qui s’y opère durant les années 1950 et 1960 font que la partie plus aisée de la population commence à fuir le melting-pot, devenu dense et bruyant, vers Ipanema et Leblon, les nouveaux quartiers encore semi-sauvages qui côtoient Copacabana et se sont développés sur un modèle plus élitiste, avec un gabarit bien plus bas. Le quartier entre dans une progressive décadence, due principalement au vieillissement de la population, puisque la dynamique urbaine qui s’impose à l’époque mène les jeunes et les couches plus aisées vers l’ouest, mouvement qui créera le quartier de Barra da Tijuca à partir des années 1970. Les grands-parents restent, et de nouveaux habitants occupent les appartements devenus moins chers, le pouvoir public abandonne l’ancienne carte postale de la ville, Copacabana se détériore, s’informalise, l’insécurité s’installe.
Et pourtant le quartier résiste, continue de fonctionner, s’adapte. Les différents agents, dans l’univers complexe que constituent maintenant ses habitants et son économie, créent des formes de cohabitation, voire de symbiose. Divers mécanismes se développent et s’installent pour compenser l’absence d’instance centrale qui organiserait la vie urbaine. Le rapport à la plage, la dimension balnéaire du quartier est aussi l’un des facteurs qui sauveront Copacabana du désastre.
Les limites sont réinventées sur le tas, les règles de cohabitation sont tacites mais généralisées. De nouveaux rôles sont créés, de nouvelles fonctions. Et surtout, Copacabana hérite de son heure de gloire le personnage du portier, qui contrôle l’entrée de l’immeuble, mais forme aussi un réseau de communication et de sécurité étalé sur tout le quartier.
L’espace public, et en particulier la rue, se voit réorganisé et occupé d’une façon jamais prévue par les planificateurs modernes de ce quartier vertical. Depuis les années 2000, Copacabana regagne de l’importance, la survie extraordinaire du label « Copacabana » et un mouvement de retour des populations plus jeunes, couplé à la prospérité acquise pendant cette décennie, fait que la densité devient un atout majeur, générant des revenus pour l’administration. Malgré cela, les systèmes alternatifs développés se renforcent et coexistent avec les systèmes institutionnels. Le quartier devient un point de rencontre pour toute la ville, toutes les couches sociales s’y côtoient, on vient de partout pour consommer, aller chez le dentiste, travailler, aller à la plage, se promener, sortir le soir, mendier. Copacabana redevient le cœur touristique de la ville de Rio, sa carte postale. Les pouvoirs publics recommencent à investir dans le quartier, par de nombreux événements de masse, souvent partiellement improvisés et précaires, mais qui peuvent réunir deux millions de personnes sur le sable de la plage de Copacabana, qui devient ainsi le quartier des grands événements.
La période d’abandon de Copacabana a permis un développement organique en apparence chaotique, mais en réalité très structuré. Un espace de liberté et de « laisser-faire » s’est institué entre les rochers et la mer, entre les canyons des immeubles, dans les recoins créés par les infinies interventions successives dans le tissu urbain, au sein même des immeubles. Le processus de réorganisation organique et non planifié (la folle croissance initiale et l’abandon qui s’ensuivit) a produit beaucoup de junkspaces, au sens de Rem Koolhaas. On trouvera dans un même building des dentistes, des agents immobiliers, des manucures, des magasins d’articles électroniques, des services sexuels, des boutiques de vêtements, des temples religieux, une pharmacie, et parfois même une banque au rez-de-chaussée.
Le surgissement de trois favelas environnant Copacabana a également rendu disponible une force de travail peu coûteuse et résidant à proximité, permettant l’instauration d’un grand réseau de services à bas prix qui sont une des caractéristiques du quartier, notamment en raison des 25 % de retraités qui y vivent et sont demandeurs d’innombrables services.
C’est la mixité qui fait l’intérêt de Copacabana et créé ce contexte de liberté. La mixité s’étend au rapport extérieur/intérieur, car les immeubles avaient dès l’origine des entrées qui formaient une continuation de la rue, sans limites claires entre espace public et espace privé. Pendant l’ère d’insécurité, entre les années 1980 et 2000, pratiquement tous les immeubles se sont dotés de grilles les séparant complètement de la rue. Et pourtant, malgré cet obstacle physique, le rapport extérieur/intérieur a gardé sa perméabilité.
Une grande quantité de temples des plus diverses croyances et leurs magasins fournisseurs de gris-gris correspondants font aussi partie du contexte de cette ville-quartier. On y trouvera des églises catholiques, des synagogues, des temples protestants de nombreuses orientations, des centres de spiritisme, des lieux de cultes afro-brésiliens, Umbanda, Candomblé et Quimbanda, des sectes orientales. Il n’est pas rare d’y voir des offrandes vaudou aux croisements de rue, avec des poulets rôtis, des bougies et de la farine de manioc dans des pots de terre.
Copacabana est aussi un haut lieu de services sexuels, avec une énorme concentration et dissémination dans tout le quartier de maisons closes et de professionnelles de la rue. Une alliance « secrète » entre l’hôtellerie et l’économie liée au sexe crée un réseau submergé de services au tourisme. Une économie non négligeable mais ignorée et qui, n’étant pas réglementée, s’étale à travers tout le territoire de Copacabana en mixité avec les autres branches de l’économie du quartier et ses activités en général.
La grande majorité des rues de Copacabana sont des culs-de-sac qui butent sur les rochers ou se terminent sur le bord de mer. C’est une des caractéristiques de Copacabana, qui ne compte qu’un nombre limité d’accès passant par des tunnels ou longeant la côte, ce qui créé une forme de situation insulaire favorisant le climat communautaire et le développement d’une certaine autarcie.
Microcosme urbain
Copacabana est aujourd’hui un quartier-ville, qui contient tout ce qu’offre une ville à sa propre échelle. On y trouve même un « parc naturel »… Avec sa population estimée entre 150 et 200 000 habitants, plus quelques dizaines de milliers de touristes résidant dans les nombreux hôtels et autres formes d’hébergement dont il est truffé, Copacabana peut fournir tout ce dont un individu aura besoin dès sa naissance dans un de ses hôpitaux. Il pourra y fréquenter l’une des nombreuses écoles du quartier, puis aller en faculté ou suivre un cours technique, travailler dans une des innombrables entreprises installées à Copacabana, jouir de sa retraite à la plage… avant de profiter des services funéraires qui l’enterreront dans le cimetière juste de l’autre côté du tunnel, dans le quartier mitoyen de Botafogo.
En ce moment même Copacabana continue d’évoluer, propulsé par la récente prospérité du pays et de la ville, qui a provoqué une augmentation brutale de la valeur du parc immobilier, mais aussi en raison du renouvellement générationnel dû au départ progressif des plus âgés. Comment ces systèmes organiques, qui se sont créés durant des décennies, évolueront face à la nouvelle situation, quels autres se développeront ? Cela reste tout aussi imprévisible qu’auparavant. Quelque part entre la « ville générique » de Rem Koolhaas et son antithèse, Copacabana existe dans une complexité dynamique et imprévisible, liée aux spécificités propres du territoire, un environnement singulier et relativement peu « globalisé ».