Archigram / Cedric Price : une société de services
En Angleterre, Archigram (1963-1974) puise son inspiration dans la culture populaire, la société de consommation, les bandes dessinées, la mode, les nouvelles technologies informatiques, la découverte de l’espace, ou encore l’imagerie de la science-fiction, actant un monde en transformation. L’architecture excède ici sa dimension matérielle et se projette au-delà de sa propre fonctionnalité pour intégrer la mobilité urbaine et celle des technologies. Plug-in City (1964), Walking City (1964) appréhendent la ville comme un « organisme unique».Marie-Ange Brayer (dir.), Architectures expérimentales 1950-2000, Collection du FRAC Centre, Orléans, HYX, 2003 ; Peter Cook, Archigram. A Guide to Archigram 1961-74, Taipei Fine Arts Museum, Garden City, 2003, p. 72.
Instant City (Ron Herron, Dennis Crompton, Peter Cook, 1969), la « ville instantanée », arrive à un endroit donné, s’y infiltre et crée un événement. Instant City se déplace ensuite ailleurs et donne lieu à une autre ville éphémère. Dans Instant City, l’architecture n’est qu’événement, action, situation. Instant City est une des premières architectures de réseau : réseau d’informations, de flux, constituée de fragments dispersés. C’est un scénario urbain soumis à la réécriture permanente des usagers qui viendront l’activer. Ville aérienne, suspendue, infiltrée dans l’existant et l’instant, Instant City n’a aucune forme fixe. Le seul matériau qui subsiste est l’air. La ville est constituée d’écrans de projection, de tentes suspendues dans les airs, de montgolfières, ou d’objets technologiques destinés à mettre en communication tous les habitants afin de transformer la ville en un vaste environnement « audiovisuel » interactif. Pour Archigram, l’architecture devrait n’être plus qu’un service itinérant, un bien de consommation : « Nous discutons vraiment de la possibilité que l’architecture se dissolve au point de devenir un bien de consommation quotidienPeter Cook, Experimental Architecture, p. 127.». Il n’y a plus de différenciation entre espace de travail et espace de loisirs dans la ville informationnelle, interactive, événementielle qu’est Instant City.
La maison se transforme alors en dispositif alternatif, tantôt « vêtement » (Mike Webb, Cushicle, 1965) tantôt kit technologique, comme le développe le critique Reyner Banham. Le Living Pod (1966-1967) de David Greene est un habitacle-capsule, une enveloppe nomade, un véhicule habitable ou un casque-cerveau prothétique. Tous ses attributs mettent en avant sa possible activation. Ses ouvertures en PVC, ses tuyaux traversants, ses pieds-vérins pour se déplacer : tout le désigne comme une machine effective, sur le point de s’animer. David Greene mène alors des recherches sur un habitat autosuffisant, où l’architecture disparaîtrait pour n’être plus que service. Le Living Pod est un artefact dont la matérialité hybride, faite d’objets quotidiens, renvoie non à sa projection dans le futur, mais à son déplacement dans une autre territorialité. Le Living Pod abrite à la fois le corps physique et psychologique ; c’est un seul espace-temps pour le travail et les loisirs, marqué par la mobilité.
Reyner Banham développe alors le concept d’une architecture dans laquelle les habitants définissent eux-mêmes leur environnement : « A Home is not A HouseReyner Banham, « A Home is not a House », Art in America, New York, II, avril 1965.». Dans Fun Palace (1961-1964) de Joan Littlewood, directrice de théâtre, et Cedric Price (1934-2003), ce sont les utilisateurs qui créent l’architecture. Inspiré du théâtre, des théories cybernétiques et des technologies de l’information, Fun Palace met en œuvre un principe d’indéterminationSamantha Hardingham, Cedric Price: Opera, John Wiley & Sons, London, 2003.. Fun Palace s’organise à partir des activités de loisirs au sein d’une infrastructure qui se reconfigure en permanence. Il n’y a plus de planchers fixes ; le bâtiment n’a jamais de forme définitive, ne cessant de se modifier au gré des services et des activités qu’il autorise. On y pénètre par n’importe quelle entrée et on y choisit l’activité que l’on souhaite. « Quand on n’a plus besoin de Fun Palace, celui-ci disparaîtJim Burns, Arthropods: New Design Futures, Praeger Publishers, New York-Washington, 1972, p. 58. ». Cette dimension d’adaptabilité permanente, d’appropriation directe du réel, transforme l’architecture en dispositif environnemental, flexible et ouvert, consommant sa propre disparition. « Les structures provisoires, les environnements, les expositions, les gonflables, les objets qui peuvent, si nous le souhaitons, être périmés après usage, seront peut-être remplacés par un autre “modèle”Ibid., p. 43.». Tout se renouvelle en permanence selon les envies et les besoins. L’espace de travail en tant que tel a disparu. L’espace fonctionnaliste et tayloriste, structuré verticalement, a fait place à un « agencement machinique » d’espaces individués, prismatiques et non monolithiques.