Représenter la donnée

  • Publié le 7 octobre 2021
  • Refik Anadol

Si l’Anthropocène nous met face à notre indissociabilité d’avec la Terre, nous vivons pour Refik Anadol dans une réalité hybride, née de l’omniprésence systèmes technologiques. Il cherche ainsi un langage universel pour exprimer cette nouvelle ère, dans laquelle le virtuel et le réel sont mêlés, en expérimentant des systèmes de représentations prospectifs matérialisant des jeux de data.

Refik Anadol est artiste, professeur et chercheur invité du département de Media Design Arts de UCLA. Il réalise des installations immersives qui mêlent art numérique et architecture.

Son installation immersive, « Machine Hallucinations – Nature Dreams », est exposée depuis le 11 juin 2022 au Centre Pompidou-Metz, premier musée français à exposer une œuvre NFT. Véritable sculpture de données aux dimensions colossales (100m2 d’images en mouvement permanent), elle est composée de deux cents millions d’images de nature, accompagnées de sons produits par les bruits quantiques. Pour STREAM 05, Refik Anadol nous présente son travail et commente ses œuvres les plus emblématiques.

DÉCOUVRIR L’EXPOSITION

Wind of Boston : Data Paintings, 2017
Les données collectées à l'aéroport de Boston Logan pendant un an sont exposées dans le hall du 100 Northern Avenue à Fan Pier.
Ici, Sea Breeze illustre le vent venu de la mer et Gust in the City la force des vents sur le bâti.

Explorer l’espace liminal

Notre réalité est devenue hybride car nous sommes entourés de machines et de systèmes qui définissent où nous allons, ce que nous mangeons, ce que nous disons, ce que nous achetons, ce que nous écoutons et regardons, de la première heure où nous nous levons jusqu’à celle où nous nous couchons. Indéniablement, nous nous trouvons dans un espace liminal, un entre-deux où le physique et le virtuel se heurtent continuellement. Tout indique l’avènement d’une nouvelle ère où la complexité virtuelle se mêle à la réalité, y compris en matière d’esthétique, ce qui ouvre des dimensions d’exploration et d’imagination inédites. Le défi de l’art est donc de servir de langage universel et de donner de nouvelles significations aux systèmes numériques, mais également aux éléments naturels ou aux paysages, sous une forme permettant de s’adresser à tous, vivants comme non-vivants.

Sculptures de données urbaines

Les villes sont des entités vivantes, dont les habitants constituent des neurones qui établissent des relations symbiotiques avec leur environnement bâti. La force de ces échanges dépasse la puissance même des États, car c’est via ces relations que nous mettons en place des méthodes de survie, que nous imaginons, que nous nous souvenons et que nous apprenons chaque jour. Les données sont une mémoire qui donne forme à mes sculptures. En utilisant la mémoire collective de New-York, Stockholm, Berlin, ou Séoul, grâce aux banques d’images colossales que ces villes possèdent, puis en les faisant passer au travers des yeux de l’IA, j’opère une reconstruction de la réalité. L’IA permet de prédire le futur et d’anticiper la construction d’un bâtiment ou le défilement des saisons. Puisque la mémoire, au XXIe siècle, ne se réduit pas aux systèmes cognitifs et dépasse le cadre classique de la perception, je cherche à établir une nouvelle narration émotionnelle au travers de modes de représentation prospectifs.

WDCH Dreams, 2018 / Seoul Haemong, 2019-2020
Les archives numériques de l'orchestre philarmonique de Los Angeles sont projetées sur le Walt Disney Concert Hall, bâtiment conçu par Franck Gehry en 2003, à l'occasion du centenaire de l'orchestre / Pour la nouvelle année, le DDP Building de Zaha Hadid devient le support de projection d'une chorégraphie numérique composée des archives publiques et personnelles des habitants de Séoul.
Melting Memories, en collaboration avec le Neuroscape Lab, UCSF, San Francisco, 2018

À la frontière de l’art et des neurosciences

Melting Memories est né d’un constat frustrant : l’incapacité de la médecine à endiguer la perte de souvenirs provoquée par la maladie d’Alzheimer. J’ai donc entamé une collaboration avec le Neuroscape Laboratory de l’université de Californie, à San Francisco, pour capter les moments où les souvenirs se formaient et les transformer en peinture abstraite de données. Comme le dit Philip K. Dick, « La réalité est ce qui ne disparaît pas lorsque vous cessez d’y croire ».

Pour moi, la simulation est ce qui ne disparaît pas lorsque les histoires et les souvenirs s’effacent. Mes œuvres servent également la recherche clinique en neurosciences car elles permettent d’améliorer la visualisation de l’information et de rendre le monde des sciences plus accessible. Il s’agit de proposer de nouvelles images et de révéler une nouvelle réalité.

Bibliographie

explore

Article
Article

De l’IA faible à l’intelligence artificielle « organique »

L’intelligence artificielle a pris une place centrale dans les discours prospectifs sur la ville, mais Bruno Maisonnier distingue une IA « faible », qui relève moins de l’intelligence que de la puissance de calcul, douée pour certains diagnostics mais inapte face à l’imprévisible, et une IA « organique », développée sur le modèle du cerveau et des insectes sociaux, capable de réaliser des tâches d’une grande complexité avec peu de données et d’énergie, douée d’auto-apprentissage et capable d’argumenter. Malgré les risques inhérents à la mise en place de toute nouvelle technologie avant l’encadrement de son usage, cette forme d’intelligence artificielle représenterait un progrès fondamental pour nos sociétés, notamment en optimisant l’efficience de l’ingénierie génétique.

Découvrir
Article
Article

Pour une intelligence spatiale

Alors que la pandémie de Covid-19 a plongé les villes du monde entier dans une crise inédite, le géographe Jacques Lévy réinscrit cette remise en cause dans une longue tradition critique de l’urbanité, associée à la quête humaine d’autonomie considérée comme relevant d’une hubris coupable. Sceptique vis-à-vis de l’hypothèse d’une désaffection durable de la ville, il voit au contraire l’opportunité de remettre l’urbanité au cœur de l’urbain, dans une combinaison de densité et de diversité, moteurs de la créativité unique des villes. Fondateur d’une chaire pluridisciplinaire intitulée « Intelligence spatiale », il plaide pour une approche unifiée des sciences sociales et la mise en place de processus d’intelligence collective pour coproduire le bien public, notamment l’espace urbain, en coopération avec les citoyens.

Découvrir
Vidéo
Vidéo

L’IA face à la complexité des environnements urbains

Hubert Beroche est fondateur du think tank Urban AI, dédié au domaine de l’intelligence artificielle urbaine. Il est le curateur du cycle de conférences Eyes on the street, que nous avons mené en partenariat avec le SCAI (Sorbonne Center for Artificial Intelligence) et nous présente ici comment les IA urbaines peuvent nous aider à appréhender la ville.

Découvrir