La ville providence
À Stockholm, le Tunnelbanan (le métro) a manifestement remplacé le réseau autoroutier de la Ville individualiste ; hommes, femmes et enfants sont ici égaux dans les lumières vacillantes de l’enfer. Soixante cinq pour cent de la population travaille dans le secteur public et paye plus ou moins le même pourcentage en impôts. Étrangement, le surmenage
(et autres formes de fatigue dues au travail et exigences familiales) est une maladie reconnue ici
au même titre que la grippe ou les fractures des os. Cependant, une culture industrielle florissante réussit à maintenir la Suède à la pointe de la technologie qui, partiellement et pour le moment, compense les faiblesses du public. Plusieurs grandes sociétés telles Ericsson, Volvo, Scania, Atlas Copco, et
Asea (maintenant Asea Bovery), toutes créées il y a plus d’un siècle, sont toujours productives (à cela s’ajoutent des géants comme Ikea, Hennes & Mauritz et Tetra Pak), bien que beaucoup d’entre elles aient été vendues à de grands groupes mondiaux. Chose étonnante, la belle ville de Stockholm, avec ses aménagements publics et son étendue sur plusieurs îles qui lui
vaut le nom de Venise du Nord, doit faire face (comme beaucoup de pays européens) à un problème d’immigration sur le point d’être traité de façon décisive. La projection Ballardesque de la ville s’effectue en deux temps. Tout d’abord, il existe une culture métissée et animée, composée d’immigrés qui prospèrent à travers une économie entièrement fondée sur le marché noir, au sein d’anciennes villes satellites désormais rebaptisées Farsta, Tensta, Hjulsta, et Vallingby. Là-bas, tout peut arriver. La police (incapable de communiquer en nouveau patois Turk-Svenska) ne fait rien et assiste médusée à ce spectacle, confortablement installée, une tasse de café à la main, dans des véhicules de patrouille. Des dentistes et médecins sans licences proposent leurs services en échange de charpenterie baltique et services de transport syriens. Les bazars de nourriture, boissons et médicaments issus du marché noir ont déplacé l’ancien système de services sociaux. La contrebande d’alcool fait rage et propose des prix nettement inférieurs à ceux des magasins de vin et spiritueux appartenant à l’état. De nouvelles politiques communautaires importées de Zagreb et Ispahan ont détrôné la lourde machine du parti social-démocrate. Le football sur neige avec un ballon noir a remplacé le hockey sur glace.
En second lieu, il existe une société noyau dont la minorité vit la moitié de l’année aux Iles Canaries ou en Thaiïlande. Le reste de la population(les Suédois de souche et immigrés issus de la troisième génération) fait fonctionner les bureaucraties où le travail acharné ne fait pas légion (Dilbert, l’ingénieur en bandes dessinées de Scott Adams, se sentirait ici chez lui en « prospérant sur de vagues objectifs »). Cependant, ces personnes y mènent une existence à temps partiel puisqu’ils passent la moitié de leur temps dans les maisons de convalescence en sous effectif. Les plus prisées sont gérées en satellites dans les villes de Palma de Mallorca et Casablanca. Pour résumer, une semi oligarchie (probablement des habitants de la ville d’origine de Ballard, Londres, près du « tarmac d’Heathrow ») g re, d’une manière assez vague, l’économie de l’état. Une forme d’absurdité s’est développée. L’activité économique quotidienne
(les collaborations non incluses dans les statistiques officielles) est gérée, dans le style Lagos, par des individus qui travaillent dans de vrais quartiers, dans une ville bien réelle alors que l’économie officielle –dont chacun peut observer les signatures électroniques sur les téléimprimeurs du monde entier- est orchestrée par un cadre virtuel de contribuables réfractaires. « Le blanchiment d’argent » industriel à la Suédoise a désormais atteint une échelle mondiale et devient comparable aux charges collectives dirigées par les chaînes hotellières du monde entier. Le ghetto a atteint sa conclusion logique : la seule chose que nous partageons est notre géographie.