Un cadre médiateur entre nature et société
Pour faire le lien avec l’alimentation, il y a la question de la place de la nature en ville et notamment celle de l’agriculture urbaine, qui a connu une croissance vertigineuse à Paris. Quel est son avenir ? Est-ce une simple tendance, une mode passagère propre à la « classe créative » ou y a-t-il un véritable sens à cette production alimentaire locale ?
L’agriculture urbaine est porteuse d’avenir, mais sa réussite suppose une réflexion « créative » justement. Elle devra tout d’abord changer d’échelle pour ne pas rester anecdotique, en particulier aux États-Unis. Le foncier y est très cher, ce qui pose la question de l’emplacement de ces parcelles d’agriculture urbaine, qui peuvent heureusement s’extraire du plein sol. Il y a dans Boston des fermes urbaines très anciennes, qui demeureront probablement telles quelles sont. Elles n’approvisionnent cependant qu’une toute petite partie de la population. Les programmes de Community Supported Agriculture (CSA) – l’équivalent des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, ou AMAP, en France – se sont bien développés aux États-Unis et constituent une excellente alternative à l’agriculture urbaine proprement dite. Ces programmes mettent en relation les consommateurs de la ville avec des fermes environnantes. Grâce à un système d’abonnement, on reçoit une fois par semaine un panier de fruits et de légumes. Cela assure le maintien en activité de la ferme et permet un approvisionnement alimentaire de la ville en produits frais.
Dans certaines villes, New York par exemple, le programme a été étendu aux personnes bénéficiant d’une assistance gouvernementale, des « food stamps »Tickets alimentaires, afin qu’elles aient également accès à une nourriture saine. Bien sûr, il s’agit en même temps d’une question de santé publique, pour faire face à la grave épidémie d’obésité causée par un accès insuffisant et irrégulier à des aliments frais.
Le problème est pluridimensionnel, et difficile à résoudre en ce sens, mais les nombreuses initiatives locales, municipales ou étatiques ont permis une amélioration de la situation. À l’époque coloniale, la Nouvelle Angleterre était par exemple une terre majoritairement agricole, mais lorsque l’économie agricole a migré vers le Midwest, les terres sont retournées à la forêt, suivant le processus naturel propre à toute région tempérée. Certaines des fermes d’origine ont été préservées, mais la région continue de lutter pour préserver un équilibre entre forêt et agriculture.
Gaining Ground, une association qui gère une ferme biologique au sein d’un paysage historique, est un bon exemple de l’entente entre différentes institutions pour étendre la portée de l’agriculture locale. La production de cette ferme est réservée aux sans-domiciles fixes et l’exploitation assurée par des bénévoles, dont des lycéens pour qui les heures d’engagement sont prises en compte dans l’obtention de leur diplôme. Ce projet a donc une dimension pédagogique, tout en œuvrant à la préservation du paysage et au soutien alimentaire. L’action patrimoniale, en faveur des sans-domiciles fixes et la lutte pour l’accès à une alimentation correcte convergent. Voilà l’avenir : penser de façon transversale pour étendre les applications et la pertinence de nos organisations.
Au-delà des espaces, des infrastructures ou des bâtiments, nos institutions doivent elles-mêmes s’extraire de la pensée monofonctionnelle. Un service de parcs ne peut se contenter de la question du loisir, de la même façon que les commissions de protection du patrimoine ne peuvent s’intéresser qu’aux considérations immédiatement de leur ressort. Toutes les institutions engagées dans la vie de ces paysages doivent élargir leurs missions. Cela semble plus facile à dire qu’à faire, mais je pense c’est tout à fait possible. Il y a des exemples remarquables et inspirants venant de petites fermes. Les toitures ont également un énorme potentiel, surtout avec l’architecture particulière des États-Unis.
Vous avez beaucoup travaillé sur cette question de l’agriculture urbaine ?
En effet. Des fermes et des prairies dans les gratte-ciel… Quelques grands opérateurs fonciers commencent également à louer leurs toits pour héberger des installations photovoltaïques, ce qui est formidable. Cela signifie que la chose est potentiellement profitable et que nous ne sommes pas complètement dépendants du coût du pétrole. Je pense qu’il en sera de même avec l’agriculture. Les toits devront probablement être expressément conçus à cette fin à l’avenir. Il existe déjà des fermes sur de très grands toits au cœur de Brooklyn et New York, mais il me semble essentiel de leur donner une dimension davantage sociale. Il faut les concevoir comme une nouvelle forme de parcs urbains, comme des espaces de production à visée pédagogique. Cela doit devenir un mouvement populaire, car il est essentiel que les citadins prennent conscience de la provenance de la nourriture. Le lait ne vient pas tout seul sur votre table, il a une origine, il a été produit quelque part, selon des méthodes particulières, mais plus personne n’en a conscience. La relation de l’homme à son environnement est devenue trop abstraite.