Corythmes entre physis (Nature) et teknè (technique-artifice) : régénérations en jeu
Bien que le temps de la nature et le temps de la teknè ne soient pas les mêmes, le principe commun à ces deux modes de production que sont la nature et la teknè (dont la racine indo-européenne « tik » signifie engendrer) est celui de la génération. Mais de quels engendrements s’agit-il ? Quels cycles et recyclages sont en jeu ? Il y a, explique Aristote, dans la Nature, une puissance première. Mais il y a aussi un devenir autre de ce qui est par nature. C’est la loi du devenir (metabole)Heidegger, « Ce qu’est et comment se détermine la Physique » (traduction en français du texte allemand : « La physique d’Aristote »), « Qu’est-ce que la technique » [1953], Essais et conférences, Gallimard, 1958. Désormais, il apparaît souvent que les milieux artificiels se sont substitués ou sont devenus concurrents des milieux naturels. C’est que dans l’artificiel, qui veut dire « fait par l’art » (arte facere), désignant habileté, savoir-faire, ruses, il y a la possibilité d’une démesure, d’une violence, d’un viol, d’une volonté prométhéenne qui vole quelque chose aux dieux, mais aussi la possibilité d’imaginer, d’inventer des dispositifs symbiotiques en corythmes.
Métamorphoses résilientes des établissements humains
L’interrogation actuelle sur les capacités résilientes et régénératrices des milieux urbains est particulièrement significative des chantiers cruciaux de reconfiguration des territoires et des déplacements qui s’effectuent par rapport aux façons d’envisager l’alliance de l’homme à la nature en ses différentes formes. Le terme de résilience appartient tout à la fois aux domaines de l’écologie environnementale et de l’écologie humaine, puisqu’il définit la capacité d’un milieu ou d’une personne à se métamorphoser afin de dépasser les traumatismes ou les chocs. Les dévastations des écosystèmes et la prise de conscience de la finitude de la planète Terre, de sa vulnérabilité comme de celle des hommesCf. préface de Jean-Luc Nancy, dans l’ouvrage de Benoît Goetz, La Dislocation, Paris, éditions de la Passion, 2001, conduisent à s’interroger sur les rapports soutenables à établir entre nature, technè et société. Le défi consiste dès à présent à imaginer d’autres possibles par des résiliences naturo-culturelles, comme par exemple reconstituer la côte méditerranéenne par d’autres modes d’occupation de la terre. Et ce notamment en ménageant entre terre et mer des corridors biologiques, dont l’urbanisation n’a laissé que des portions congrues, en préservant les terres cultivables ainsi que les réserves d’eau, mais aussi en inversant le mouvement de privatisation du rivage méditerranéen. Si être moderne, avec la Charte d’Athènes, c’était privilégier la « tabula rasa » et s’affranchir du milieu, il s’agit désormais de comprendre et d’imaginer d’autres possibles à partir des résistances et des ressources des milieux, de leurs potentialités et des intensités de vie. Des alliances de différents types visant à révéler, ménager, revivifier, sont engagées, et ce en prenant en compte les éléments géographiques, tectoniques, climatiques, atmosphériques, biologiques, techniques et culturels. C’est ainsi que s’imaginent dans la fabrique des milieux habités des densités raisonnées préservant des espaces non bâtis de forêt, de campagne, de jardins et de parcs, mais aussi de nature sauvage, la création d’atmosphères vivables, et une culture des sols veillant à leur fertilitéCf. texte Frédéric Bonnet, « Architecture des milieux », in Le Portique n°25, 2010.
Ce sont à ces nouvelles manières de penser et de faire que nous sommes désormais requis. Renaturer l’architecture et la ville, c’est recycler, dépolluer, régénérer, hériter, économiser, diversifier, prendre soin, inventer mais aussi créer et recréer. Car les corythmes entre humain et non humain, entre urbain et agriculture, entre diversités naturelles et culturelles, bref entre natures et cultures, constituent la matière du coexister, de l’habitable et de l’art, qui est une façon de s’envisager au monde et de le configurer. Henri Maldiney explique : « Quand je parle d’un animal, c’est simple ; sa nature, c’est sa vie. Et la nature son lieu vital. Pour l’homme non. Entre le biologique et l’historique, ou plutôt en deçà et au-delà des deux, l’homme surgit en existant… L’entrée en présence de l’art et de l’homme dans l’art fait que l’homme se reconnaît au moment où, réellement en présence de l’œuvre, il outrepasse sa dimension biologique sans pour autant s’aliéner historiquement. »H. Maldiney, Ville contre-nature, op.cit., p.28