Ce qui est intéressant avec ces installations immersives c’est qu’elles suscitent l’émerveillement malgré la gravité du sujet; est-ce que pour vous une manière d’influencer les comportement par une approche sensible, plutôt que d’essayer de les changer en s’appuyant sur les faits les plus effrayants ?
Je cherche toujours à éviter de provoquer ou choquer les gens, car il me semble que les journaux le font bien assez. La plupart des informations sur l’environnement sont effrayantes, et nous nous sentons souvent désemparés en les apprenant. Nous nous retrouvons comme paralysés, ne sachant que faire ni comment réagir. Par mon travail, je m’efforce de faire comprendre les enjeux aux spectateurs, de façon qu’ils s’y sentent liés, mais d’une manière qui n’est pas fondée sur le choc, et qui persiste dans le temps. Plastic Reflectic, mon travail sur la pollution des océans par le plastique, illustre bien cette idée. Quand il approche de l’oeuvre, le spectateur peut jouer avec, et généralement il commence par se dire que c’est amusant. Il ne réalise le message qu’au bout d’un certain temps, et celui-ci fait ensuite lentement son chemin dans sa tête, ce qui permet véritablement d’éprouver et intégrer la problématique. Il en va de même pour Voice of Nature. C’est une oeuvre très forte esthétiquement, qui suscite au premier abord un état méditatif. Ce n’est qu’après l’avoir laissée décanter quelque temps que nous commençons à en comprendre le sujet et les enjeux. Susciter ces sentiments est une façon pour moi d’engager un échange et une réflexion sur les grands enjeux écologiques de notre temps.
La question est donc de trouver comment susciter des émotions à partir de faits scientifiques. Quand vous parlez avec des chercheurs, ils vous racontent des choses beaucoup plus intéressantes que ce qu’ils écrivent généralement dans leurs publications. Cela s’explique par le fait que dans un cadre informel ils doivent expliquer leur propos d’une manière accessible aux non-initiés. Ils font alors l’impasse sur le jargon scientifique et ont tendance à chercher des déclics émotionnels. La plupart de mes idées me viennent naturellement durant ces moments où je me fais expliquer des travaux de recherche. Je sais que j’ai matière à travailler quand je tombe sur un fait inconnu qui me touche. J’imagine ensuite une oeuvre d’art qui s’appuie sur ces informations scientifiques. De ce point de vue, il ne s’agit pas du tout de pseudoscience, ce qui est toujours un peu problématique. J’apprécie tout particulièrement ce moment de déclic, quand je suis frappé par un fait surprenant et obscur qui mériterait d’être connu par tous.
Avez-vous le sentiment que face à l’essor des fake news vous avez une responsabilité particulière en tant qu’artiste dans la diffusion publique de la science et des faits scientifiques ?
Il est clair que nous vivons une époque où les faits et les scientifiques ne reçoivent pas le respect qui leur est dû. Quand quelqu’un passe vingt ans à étudier sérieusement et scientifiquement un sujet, son avis est plus pertinent, c’est aussi simple que cela. Par exemple, cela fait quarante ou cinquante ans que le changement climatique est établi par les scientifiques, mais nous restons pourtant encore largement dans le déni, avec des remises en question quotidienne de la réalité du phénomène et toute une partie de l’opinion publique qui semble toujours hésiter à agir.
Les scientifiques sont pour une part coupables de cela, mais également les acteurs culturels, qui n’abordent pas suffisamment la question. Si la recherche ne parvient pas jusqu’à nous, comment pourrait-elle nous apprendre quoi que ce soit ? Les scientifiques contemporains sont trop souvent obnubilés par la publication d’articles dans une logique carriériste de poursuite du chiffre, multipliant les publications au lieu de tenter de créer un dialogue avec le grand public pour débattre de leurs résultats.
Dans les siècles passés, chaque découverte scientifique trouvait un écho formidable dans la société, ce qui lui permettait d’évoluer, de progresser. De nos jours, les études scientifiques finissent généralement dans des publications élitistes et absolument hors de prix pour le commun des mortels. Le grand public ne peut avoir accès à ces connaissances. Mais si le monde scientifique n’a pas fait un bon travail dans la diffusion publique des résultats de la recherche, le monde de la culture n’a pas non plus suffisamment cherché à valoriser ces découvertes.
C’est pour cela que je m’efforce d’apporter un langage nouveau et plus universel aux scientifiques. Voice of Nature illustre bien cette intention. Le but de cette oeuvre était de créer un langage compréhensible par le public, en s’appuyant sur l’application d’un algorithme et d’un code, de façon qu’il se sente connecté aux enjeux environnementaux, qu’il puisse interagir et réfléchir. Quand nous avons monté cette installation à Chengdu, une personne dans l’assistance qui avait des connaissances arboricoles nous a par exemple affirmé que l’arbre que nous pensions utiliser n’était pas en assez bonne santé, qu’il avait besoin de davantage d’eau. Personne d’autre ne voyait le problème, mais quand nous avons placé nos capteurs dans le sol, les données ont clairement montré que l’arbre était effectivement déshydraté. Dans les quinze minutes, quelqu’un arrosait l’arbre avec un camion-citerne géant. Pour moi, cela illustre bien ce besoin d’un langage commun entre la nature et l’humanité, mais également entre les scientifiques et le reste d’entre nous. Nous devons combler ce déficit de communication.