Le second a pour titre « Kenchiku map Tokyo — The Architectural map of Tokyo Part 2 » (2003). J’y ai dressé une liste complète des édifices, ce qui m’a permis de constater que, même après l’éclatement de la bulle économique, Tokyo restait une ville monstrueuse où proliféraient les nouvelles constructions. Bien entendu, il y a eu aussi des changements. Par exemple, le nombre des établissements publics de taille moyenne a diminué tandis que les travaux de rénovation prenaient de l’ampleur. Certains quartiers, entre autres Roppongi Hills et Shiodome Shiosite, ont fait l’objet d’énormes travaux de réaménagement tandis que les habitations individuelles se multipliaient comme les « Mini House » de l’Atelier Bow-Wow (en japonais Atorie Wan) ou les petites maisons de Kazuyo Sejima. En d’autres termes, l’architecture japonaise a évolué dans deux directions opposées à cause d’une part du rejet de l’étalement urbain et, d’autre part, du retour vers le centre ville.
Toutefois, le développement urbain de Tokyo semble bien modeste en comparaison de ce qui se passe en Chine. Les édifices qui surgissent de terre à Beijing ou à Shanghai ont des proportions impressionnantes en termes non seulement de hauteur mais aussi de largeur. En Chine, la propriété foncière privée n’existe pas, si bien qu’il est possible de restructurer entièrement un quartier comme s’il s’agissait d’un emplacement inhabité. Au Japon, en revanche, les terrains ont un prix très élevé et ils sont morcelés en petites parcelles à cause de la transmission du patrimoine aux héritiers, ce qui a provoqué une prolifération d’immeubles tout en hauteur (pencil building). En outre, à Tokyo, le développement urbain à grande échelle est resté relativement raisonnable et modéré, alors qu’il en va tout autrement en Chine où des architectes audacieux comme Rem Koolhaas et Riken Yamamoto ont été engagés comme maîtres d’œuvre.
Si l’on se place dans une perspective mondiale, les petites habitations de Tokyo font preuve d’une plus grande originalité que les autres formes architecturales. En Europe et aux États-Unis, les maisons sont plus vastes et ceux qui n’en possèdent pas vivent dans des appartements. Mais chez les Japonais, il existe un fort désir de posséder un terrain et une maison, si petits soient-ils. Ces derniers temps en particulier, le regain d’intérêt pour le centre des villes s’est accentué par l’achat de petits logements urbains au détriment de la grande maison en banlieue. Dans le reste de l’Asie, la plupart des gens vivent dans des appartements comme en Europe et aux Etats-Unis, même si une partie des gens fortunés résident dans de somptueuses résidences. Mais à Tokyo, les petits logements constituent une forme d’architecture caractéristique de la capitale japonaise. Deux tendances opposées de l’architecture se sont affirmées au Japon après l’éclatement de la bulle économique.
Deux types d’édifices y connaissent une vogue exceptionnelle et ne relèvent ni du développement urbain gigantesque, ni des habitations individuelles. Le premier type est celui des boutiques de grandes marques conçues par des architectes célèbres et le second, celui des chapelles réservées aux cérémonies de mariage (wedding chapel). Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’espaces commerciaux qui visent une clientèle féminine. Les grandes marques et les cérémonies de mariage jouent un rôle important dans le monde entier, mais au Japon, elles connaissent un essor particulièrement remarquable. D’après une enquête effectuée en 2003, 44% des femmes de l’archipel qui ont entre 15 et 59 ans possèdent un sac de la marque Louis Vuitton. Un tiers des ventes mondiales de la maison Louis Vuitton est le fait de la clientèle japonaise.
Le succès phénoménal de cette marque de luxe au Japon tient à une volonté des femmes, non pas de se singulariser par rapport à leurs semblables, mais de s’uniformiser avec elles. Curieusement, les lycéennes japonaises arborent en même temps des sacs de grandes marques et de menus objets achetés dans des boutiques à bas prix, une forme d’incohérence qui est volontiers admise dans l’archipel. Par ailleurs, plus de 60% des couples souhaitent que leur mariage soit célébré dans une église bien que le nombre des personnes de confession chrétienne constitue à peine 1% de la population japonaise.
Dans le même temps, la veille de Noël est devenue la fête des amoureux. Pour répondre à la demande, des « cathédrales » réservées aux mariages et où nul fidèle ne vient prier sont apparues dans toutes les provinces de l’archipel, ce type d’activité est devenue une industrie. Le Japon est le seul pays au monde où l’Église catholique autorise la célébration dans des églises de mariages entre des personnes non-croyantes.