Nous avons décidé de créer une sculpture volante reposant sur le principe de la montgolfière qui porterait le slogan ‘‘L’eau et la vie comptent plus que le lithium’’, tracé avec des membres des communautés environnantes. Le vol d’Aerocene Pacha s’est fait sans avoir recours aux énergies fossiles, au lithium, à l’hélium ou à l’hydrogène, ni à la moindre batterie ou panneau solaire. Il s’agit du vol le plus durable de l’histoire humaine et compte donc parmi les expériences les plus importantes de l’histoire de l’aviation. La sculpture s’élève dans l’air grâce à la différence de température produite par la chaleur du soleil – en d’autres termes, grâce à la collaboration entre le soleil et l’atmosphère, à notre collaboration avec ces éléments, mais également grâce à un dialogue et une collaboration entre êtres humains. Avec des membres des communautés indigènes, nous avons accompli le rituel de Pacha Mama, pour remercier la Terre nourricière et lui demander sa bénédiction. Une véritable rencontre de cultures et de générations différentes a eu lieu sur le lac de sel, avec ces jeunes coréens et argentins chantant ensemble des titres de BTS en coréen, mais aussi des gens du monde de l’art, des amis et de la famille. C’était vraiment magnifique de voir tout le monde œuvrer de concert, d’autant que cela portait un message très fort issu des communautés indigènes, rendu visible de tous en s’élevant dans le ciel.
Nous avons reçu confirmation de la Fédération Aéronautique Internationale (FAI) qu’il s’agissait bien du vol le plus durable de l’histoire humaine, plus encore que ceux des frères Wright ou Montgolfier, ou que quiconque ayant jamais réussi à s’élever dans les airs ! La FAI, basée à Lausanne, est l’autorité en matière de vols aériens et spatiaux : cela fait plus d’un siècle que cette instance reconnaît les accomplissements les plus importants ayant trait aux vols aériens et spatiaux, attestant les records mondiaux d’individus tels que Peter Lindbergh, Maryse Bastié, Youri Gagarine, ou encore de l’équipe d’Apollo 11… Les trente-deux records du monde du projet Aerocene Pacha récompensent également les précieuses contributions des communautés de Salinas Grandes. L’échange de savoirs locaux et les combats menés par les communautés autochtones contre l’industrie du lithium qui ravage la région étaient au cœur du discours du projet Aerocene Pacha et des prochaines étapes d’action humanitaire de l’Aerocene Foundation.
Aerocene Pacha constitue également un exemple prouvant que les technologies pourraient — devraient même — être couplées à une cohérence sociale et découplées des énergies extractives. Le projet illustre la dimension militante que revêt notre travail artistique. Il ne s’agit pas seulement de provoquer des émotions, mais aussi de révéler des perspectives d’alternatives concrètes couplées à une véritable cohérence sociale. Les artistes veulent désormais contribuer plus largement au bien-être, à la redistribution et à l’égalité au sein de la société. Il ne s’agit pas que d’une pratique artistique, nous bifurquons vers un travail sur la gouvernance et les processus permettant de façonner notre travail. Nous expérimentons par exemple des solutions pratiques, puis les diffusons autour de nous, en partageant toutes les informations et les données du projet en open source.
Je pense qu’il faut multiplier les actions collectives comme celle-ci sur tous les plans et ne pas se contenter d’être artiste ou architecte, en restant dans son domaine. Être juste architecte ne suffit plus pour contribuer de manière effective à changer les choses, si tant est que cela ait été un jour le cas. Il nous faut aujourd’hui nous engager pour repenser nos modes de conception et d’organisation occidentaux, nous ouvrir à d’autres disciplines, d’autres sociétés et d’autres visions du monde. Nous devons sortir radicalement des silos dans lesquels la modernité occidentale nous a enfermés. »
Un extrait en avant-première de l’entretien avec Tomás Saraceno prévu dans le 5e numéro de notre revue Stream, à paraître cet automne.