Vous exercez le métier peu connu en France de « forestier urbain » et dirigez, à la Métropole du Grand Lyon, le plan Canopée, un projet qui fédère une multiplicité d’acteurs urbains. Pourriez-vous nous présenter cette discipline et sa mise en œuvre à Lyon ?
Lorsque j’ai commencé ma formation, la discipline de « foresterie urbaine », développée il y a une cinquantaine d’années en Amérique du Nord, n’existait pas en France. Il s’agit de considérer la végétation d’un territoire urbain comme une forêt diffuse et d’adopter pour la gérer une vision globale et transdisciplinaire. Des modèles, des techniques et des principes issus de la foresterie sont mobilisés, notamment la pédologie, la phytosociologie, la botanique ou la sylviculture… mais en territoires urbains habités. Il devient donc nécessaire de compléter ces sciences forestières par des dimensions paysagère, architecturale, urbanistique, géographique mais aussi sociologique, anthropologique ou psychologique. La « foresterie urbaine » est ce mélange de disciplines qui a malheureusement toujours eu du mal à se développer en France. Je me suis donc formé à l’étranger, au Canada, en Angleterre et en Australie, avant de rentrer en France avec l’objectif de développer cette approche autour de l’arbre. C’est ainsi que j’ai entamé ma collaboration avec la métropole de Lyon au tournant des années 1990, à une époque où la question de la nature en ville n’était pas un sujet d’aménagement, puisque l’on sortait des Trente Glorieuses et que la vision fonctionnelle et utilitariste de la ville était encore très présente. Depuis, je travaille sur l’élaboration de stratégies pour introduire les enjeux de nature et de paysage dans la culture de l’aménagement urbain de la métropole. Je développe des projets qui cherchent à dépasser la logique d’institution pour se rapprocher d’une logique de territoire. Le végétal, l’eau et les sols deviennent des outils pour élaborer des « solutions fondées sur la nature » et accroître la résilience urbaine face au changement climatique.
La Métropole œuvre aujourd’hui à un projet intitulé Plan Canopée, qui s’inscrit dans le prolongement de la Charte de l’arbre, dont la première version a été élaborée dans les années 1990. À cette époque, la réalisation du quartier de la Cité Internationale, dessiné avec le paysagiste Michel Corajoud, révélait
au public une nouvelle manière de construire la ville. Le retentissement auprès de la population a été très grand, générant une forte demande sociale de projets accordant une nouvelle place au paysage et à la nature urbaine. Mais le changement de municipalité a failli interrompre le projet. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à travailler à un document qui, validé politiquement, permettrait d’asseoir la politique urbaine de la métropole dans la durée. Faire dialoguer stratégie, conception, mise en œuvre et gestion impliquant un grand nombre d’acteurs, aux intérêts parfois divergents, notre second objectif a été de créer un outil de consensus autour des maîtrises d’œuvre privées avec lesquels nous étions amenés à travailler. La Charte de l’arbre était née. Votée à l’unanimité, elle nous a permis de construire une pensée métropolitaine définissant des objectifs communs sans être remise en cause à chaque mandat. Cette charte établissait de grands principes de diversité, de durabilité et d’économie qui dessinaient les contours d’une philosophie à long terme. L’idée n’était pas de brider la créativité par un carcan de contraintes, mais de définir une direction à emprunter collectivement, au sein de laquelle chacun serait libre de tracer son propre chemin.
Cette charte s’est toutefois confrontée à trois limites principales. D’abord elle était centrée sur les arbres d’alignements et ne prenait pas en compte les enjeux paysagers à l’échelle métropolitaine, les espaces naturels et toute une diversité de milieux. La deuxième : cette charte n’était pas assez connue ni partagée par les acteurs du territoire. Enfin, de nouveaux objectifs qui n’avaient pas été identifiés durant la rédaction de la Charte sont apparus. Son élaboration était motivée dans les années 1990 par une demande essentiellement sociale, mais des enjeux tels que l’érosion de la biodiversité ou les effets du changement climatique ont progressivement pris une importance centrale. Cela nous a amenés à rédiger une seconde version en 2011, pour adopter une vision plus globale et actualisée des enjeux de territoire. On dénombre aujourd’hui cent-vint signataires, tant des collectivités, des aménageurs, des bailleurs sociaux, des fédérations professionnelles, des entreprises que des bureaux d’études, des pépinières ou des conseils de quartier… Tous ces acteurs forment un réseau qui partage une philosophie, des ambitions et des expériences.
Pour dépasser la simple dimension éthiqueet philosophique, il a cependant fallu augmenter la Charte de l’arbre d’une déclinaison opérationnelle, ce qui a conduit à l’élaboration du Plan Canopée. Il s’agit ce faisant d’œuvrer concrètement pour adapter la ville au changement climatique, notamment au travers de la lutte contre les îlots de chaleur. La principale vulnérabilité du territoire lyonnais est en effet l’exposition aux vagues de chaleur et aux canicules, qui ont des conséquences sanitaires de plus en plus lourdes. De l’arbre, nous avons étendu nos perspectives d’intervention à la renaturation et à l’ombrage, dans l’objectif d’accroître la résilience urbaine thermique.