Vous vous décrivez comme un « artiste environnemental » ; est-ce à dire que vous considérez que la crise écologique a fondamentalement modifié le rôle des artistes ?
L’art s’est historiquement prêté au rôle de miroir de la société. Pour reprendre la formule de Nina Simone, « le devoir de l’artiste est de refléter son époque ». Je suis donc abasourdi de voir que le changement climatique, l’effondrement écologique et les autres questions environnementales, qui constituent pourtant les grands défis de notre temps, ne fasse pas l’objet de davantage de productions artistiques. C’est vrai non seulement des arts plastiques, mais également de la littérature et du cinéma : nous en faisons trop peu au vu de l’ampleur du sujet. Je ne comprends vraiment pas pourquoi ces thématiques ne sont pas plus largement intégrées par les artistes. Si la fonction de l’art est d’être le miroir de la société, je crois que nous faisons très mal notre travail. C’est en tout cas ce qui m’a poussé à chercher ma voix en tant qu’artiste pour aborder ces thématiques cruciales. Comme tout le monde, je ressens souvent de la frustration quand je lis sur ces sujets, et il me semble donc que mon rôle en tant qu’artiste est de rendre ces questions complexes plus intelligibles et accessibles par ma pratique artistique.
Je choisis les sujets les plus difficiles – des sujets qui semblent devenus banals, ennuyeux ou dont on croit déjà tout savoir – et je travaille avec des scientifiques pour voir si je peux trouver un angle intéressant ou un fait dont je n’avais jamais entendu parler, mais qui mérite d’être mieux connu. D’une certaine manière, c’est un mélange d’art, de communication et de militantisme. Je crois que ce que nous pouvons faire en tant qu’artistes, c’est proposer de nouvelles perspectives, clarifier les choses, ou mettre en scène une perspective futuriste sur les grandes questions écologiques. Nous devons assumer davantage nos responsabilités en nous attaquant à ces sujets, y compris en nous interrogeant sur la manière dont nous produisons nos œuvres, notamment en prenant en compte l’impact environnemental de leur production.
Dans le cadre de ce travail de sensibilisation aux grands enjeux environnementaux, vous faites appel à de nombreux outils technologiques de pointe, de l’IA à la réalité virtuelle, ce qui ne semble pas un choix évident de prime abord ; pourquoi avoir choisi ce moyen d’expression artistique ?
Pour moi, les technologies ne sont rien de plus que de la peinture. Je pense sincèrement que si les peintres et artistes des siècles passés avaient disposé des outils actuels, ils les auraient utilisés de la même manière. Je ne les envisage pas comme des technologies en tant que telles, mais plutôt comme une sorte de peinture avec laquelle je peux exprimer mes idées. Je pense d’ailleurs qu’il y a une distinction claire entre les artistes qui utilisent les technologies pour elles-mêmes, qui les mettent gratuitement en scène, et ceux qui utilisent la technologie comme moyen d’expression.
Ce que j’apprécie avec ces nouvelles technologies, c’est qu’elles me semblent correspondre davantage à notre époque et à notre culture qu’une classique toile sur un mur. Quand on y réfléchit, c’est beaucoup demander du public que de s’attendre à ce qu’il se tienne pendant des heures debout devant un tableau pour s’y immerger. Nous vivons clairement dans une société où notre capacité d’attention s’est raccourcie. De ce point de vue, les technologies ont cette capacité unique de plonger les spectateurs dans une expérience immersive immédiate, ce qui favorise leur engagement sur un sujet. En tant qu’artiste environnemental, les questions écologiques qui me sont chères semblent toujours assez lointaines et distantes, comme la déforestation en Amazonie par exemple. Via des installations immersives, la technologie peut a contrario nous permettre de nouer un lien intime avec le spectateur, ce qui est d’une aide précieuse pour faire passer un message de manière sensible, personnelle, et non plus distante et abstraite.