Des États généraux pour la justice
En réponse, et à l’initiative du président de la République, des États généraux de la justice sont lancés fin 2021 pour « renouer le lien entre la justice et ceux au nom de qui elle est rendue[2] », via un exercice de dialogue autour la place de la justice et son fonctionnement, en impliquant les citoyens dans une consultation, traduite par un comité d’analyse et de restitution, présidé par Jean-Marc Sauvé. L’ambition était d’analyser l’état des conditions matérielles d’exercice de la justice et d’étudier un sentiment de déconnexion entre les citoyens et l’institution, partant du constat d’une méconnaissance des attentes des justiciables.
« Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout »
Le lancement de ces États généraux coïncide avec l’électrochoc d’une tribune dans le Monde, en novembre 2021, où 3 000 magistrats dénoncent l’approche « gestionnaire » de la justice et un abîme de plus en plus grand entre la volonté de rendre une justice de qualité et la réalité quotidienne. Les auteurs s’élèvent contre les injonctions à aller vite et faire du chiffre, décrivant une justice qui devient « maltraitante », tant pour les justiciables que pour ses personnels, en raison du peu de temps laissé à l’analyse et la décision, à l’issue d’une attente intenable. Cette discordance générerait ainsi un sentiment de « perte de sens » et de « souffrance » chez de nombreux magistrats, jeunes comme plus expérimentés.
Mutations de la place de la justice dans la société
Au-delà des tensions sur ses moyens humains et matériels, la place et le rôle de la justice dans la société sont marqués par ses évolutions sous-jacentes globales : la judiciarisation de nos rapports sociaux ; la digitalisation générale ; la prise de conscience universelle d’une crise écologique renforçant les attentes en termes de justice environnementale… La justice se fait plus horizontale, poussant à davantage de procédures négociées ; elle se fait également plus collective, via les class actions, et plus inclusive, dans un mouvement d’attention et de reconnaissance de nouvelles voix et victimes. C’est la tendance vers une justice « restaurative », créant par le procès un espace de dialogue entre victimes et auteurs. Le cas extrême des procès d’attentats souligne l’avènement plus large d’une justice de la réparation, ou autant que la punition des coupables, l’objectif est de créer un espace d’écoute, de libération de la parole des victimes, favorisant un travail mémoriel de re-cohésion sociale.
Trouver des réponses architecturales aux tensions symboliques et pratiques
Au-delà du seul constat d’une situation de crise, quels enseignements tirer de ces évolutions pour la conception d’un nouveau Palais de justice ? Comment concilier les paradoxes de l’architecture judiciaire pour incarner une justice contemporaine ? Au vu du lien direct entre les conditions matérielles d’exercice de la justice et la façon dont elle est vécue et perçue, il nous semble que trois axes se dessinent : l’affirmation d’une monumentalité apaisée, l’incarnation d’une justice du soin et la volonté d’une exemplarité du bâtiment.
Une monumentalité apaisée
Le tribunal doit assurer la sacralité du lieu et la protection du débat, et son architecture induire un rituel sans renoncer à s’adapter à la société. Entre la représentation du pouvoir, dans sa capacité de coercition, et l’expression d’une transparence, qui enlève cette symbolique, l’équilibre se joue entre l’excès de théâtralité qui écrase le justiciable et la dérive d’une banalisation. Le développement d’une monumentalité équilibrée permet de contrecarrer une banalisation symbolique et de rétablir la sacralité du temps de justice, sans excès de théâtralité, par une sobriété assumée, au décor symbolique rare mais choisie. Elle participe d’un effort de légitimation de la justice dans une société en profondes mutations, suscitant l’adhésion plutôt que la confrontation.