Une réticence française
Dans l’univers académique, la France a la particularité d’entretenir des relations ambiguës avec cette forme du campus, qui a tendance à mal y fonctionner comme écosystème d’étude, de vie et de travail, à ne pas créer de dynamique propre, en partie en raison du poids historique et symbolique du Quartier Latin. L’Université de Paris y apparaît dans le courant du XIIe siècle en réunissant les collèges de la rive gauche, qui logent les étudiants à proximité et en relation directe avec les couvents des grands ordres monastiques. Comme une ville dans la ville, le quartier concetre une impressionnante densité de grandes écoles au fil du temps, avec notamment l’ajout au XVIIIe d’écoles de sciences et de techniques. Malgré la proximité géographique englobante du Quartier Latin, les institutions et leurs bâtiments affirment leur prestige de manière autonome dans la ville.
Après-guerre, durant la période de la Reconstruction, et au-delà du cas des universités détruites par le conflit, comme celle de Caen, la démocratisation des études supérieures, accompagnant l’accroissement des effectifs étudiants de la génération baby-boom et conjugué à l’évolution des pédagogies, conduit à un mouvement de création de campus périurbains. Il sera encouragé par les évolutions pédagogiques initiée par la loi Faure de novembre 1968, qui fait suite aux événement de Mai, entérinant des réflexions plus anciennes sur la massification et la démocratisation de l’accès aux études supérieures dans l’après-guerre en prônant la pluridisciplinarité, une autonomie renforcée et la participation. Le centre universitaire expérimental de Vincennes représente un extrême emblématique de l’esprit de cette époque.
Ces nouveaux campus font néanmoins face à la persistance du modèle urbain, avec l’adjonction de bâtiments neufs au cœur des bâtiments historiques, et à une stigmatisation précoce en raison de leur localisation et de leur architecture. À Paris même, la tentative de grand campus urbain moderne de Jussieu par Edouart Albert est mal aimé, dans sa dimension brutaliste de béton et son isolement, perçu de façon similaire à un grand ensemble d’un quartier de banlieue déconnecté, comme a pu l’être de façon symptomatique l’Université de Nanterre, initialement enclavée et isolée de la ville qui l’accueille. Dans les deux cas ces campus d’important travaux de modernisation et d’extension dans les années 2000.
Au fil des années, les campus français connaissent pourtant une succession de plans de développement, au début des années 1990 avec le plan « Université 2000 » – qui conduit notamment à la création de quatre universités dans les villes nouvelles franciliennes d’Evry, Cergy, Saint-Quentin-en-Yvelines et Marne-la-Vallée –, puis U3M dans les années 2000, ou Plan campus en 2009. Si plusieurs des premiers campus péri-urbains de grandes villes, longtemps isolés (Lyon, Bordeaux…) se voient entretemps reliés au métro ou au tram, ils restent dans l’ensemble peu vivants, et le déplacement en banlieue semble être resté vécu comme un déclassement. Les désillusions qui touchent les campus français modernes semblent ainsi parallèles à celle du mouvement des grands ensembles, notamment dans les villes nouvelles, pour des raisons relativement similaires : même recours à des systèmes de préfabrication peu qualitatifs, recours massif au béton, même manque d’espaces verts, d’aménités et d’urbanité au sens large. Ces campus laissent aujourd’hui un patrimoine moderniste à repenser, avec des problématiques rejoignant la question de l’adaptation-préservation du patrimoine du XXe siècle de façon plus large, avec des bâtiments souvent mal aimés, même quand ils présentent des qualités formelles d’écriture, mais aussi et surtout globalement devenus inadaptés en termes d’usages comme de performances énergétiques.