Il s’agit bien d’un travail en commun, d’une association, mais parleriez-vous de domestication ?
Oui, avec ses avantages et ses risques, car les choses peuvent m’échapper, au sens où la domestication ne réussit pas toujours. Il m’est ainsi arrivé d’être complètement dépassé par les insectes, les odeurs ou les moisissures au cours d’expositions… L’idée de domestication est un peu ambiguë, le chien s’étant par exemple probablement rapproché de l’homme par intérêt. Il m’arrive d’ailleurs de me demander qui du chien ou du maître est le véritable propriétaire, surtout en assistant à des scènes où l’animal, assis sur les genoux de son maître, mange dans son assiette, ou lorsqu’ils partagent le même lit. Le chien exerce une vraie pression à l’heure du repas, c’est souvent l’animal qui commande d’être servi. Mais il y a toute sorte de domestication. Certaines relèvent de l’exploitation pure et dure et peuvent être assimilées à une forme de parasitage, conduisant parfois à la mort de l’animal. D’une certaine façon, c’est assez représentatif de l’attitude générale de l’homme vis-à-vis de son environnement.
D’autres formes de domestication relèvent davantage de la symbiose. Les Maasaï incisent légèrement la jugulaire de leurs vaches pour boire leur sang. L’animal reste ainsi en vie, son sang se renouvelle et ils en tirent les protéines et l’eau dont ils ont besoin. Au final la vache est bien traitée, malgré le prélèvement de sang, car les Maasaï ont conscience de ce qu’elle ne pourrait pas supporter. Ils la respectent, la nourrissent, la protègent des prédateurs…
Suivre l’une ou l’autre de ces approches relève du choix politique. À titre personnel, je considère la domestication comme un intérêt bien compris. Dans Lâcher d’escargots sur moquette marron, je me sers de leur bave pour produire une peinture, en échange de quoi je leur offre de la bière, ce dont ils raffolent. Je leur offre de passer un bon moment contre une petite performance, après quoi je les relâche. J’espère que cette domestication n’est pas trop traumatisante.
De même, dans la pièce Table auto-nettoyante, il y a l’idée de la « commensalitéFait de partager une table, un repas. Les animaux dits « commensaux » se nourrissent des parasites d’un individu hôte, subvenant ainsi à leurs besoins tout en rendant un service d’hygiène. », en lien avec celle de domestication. J’y propose un refuge aux fourmis – dans les pieds de la table – ainsi que de la nourriture – les miettes générées par le repas – contre un service de nettoyage. L’intérêt est partagé. Cette pièce met en perspective la question de la cohabitation et de la manière dont il est possible de partager un espace de façon à ce que tout le monde y trouve son compte. Nous nous nourrissons de vivant, qu’il soit animal ou végétal, et sommes donc intimement lié à lui. Le but de tout être vivant est de se conserver et de se perpétuer, de survivre le plus longtemps possible, certes, mais se demander comment composer intelligemment avec les autres vivants n’est pas une question morale, c’est aussi et surtout une question de bon sens.