Trajectoires d’évolution des villes
La notion de types comme situations à un temps t est un autre aspect important de la typologie. En d’autres termes, les types qui ont été présentés ici doivent être considérés comme des arrêts sur image effectués au cours d’un continuum dynamique, des représentations d’un ensemble de situations particulières effectuées le long d’une trajectoire temporelle. Ces trajectoires peuvent accueillir un nombre quelconque de types de villes identifiés dans notre étude, ouvrant ainsi la possibilité, en approfondissant les recherches, de parvenir à déterminer les étapes de la transformation ou de la transition d’une situation à une autre.
Par exemple, la transformation urbaine d’un environnement sale, vicié et industriel en un environnement propre, sain et axé sur les services est si souvent évoquée qu’elle est devenue l’exemple fétiche des spécialistes en solutions urbaines pour un avenir durable. La presse populaire et le monde du design sont à présent envahis par le discours et l’image attractive de l’avènement de l’ère nouvelle des paradis urbains peuplés d’adultes équilibrés, bien instruits, respectueux de l’environnement et dont les enfants sont tous au-dessus de la moyenne. Malheureusement, ce monde n’est une réalité que pour une infime frange de la population mondiale. Pour une majorité de citadins, la ville restera sale et viciée, et si l’économie urbaine n’est plus directement industrielle, elle sera toujours à mille lieues d’une réalité post-industrielle.
Pourtant, des transformations ont bel et bien lieu. À l’instar des économies nationales qui évoluent, se développent et se transforment, les villes qui les composent changent, s’adaptent et se transforment également de multiples façons différentes. La typologie décrite plus haut permet de modéliser de nombreuses trajectoires d’évolution de villes, que ces trajectoires soient conscientes, inconscientes, attendues et inattendues. Comme indiqué précédemment, il est nécessaire de continuer les recherches afin de pouvoir véritablement identifier des trajectoires historiques et établir des prévisions fiables concernant l’avenir de nos villes (Ferrão et Fernández 2014). Ce travail est important.
Rappelons, une fois encore, que dans les décennies à venir, la grande majorité de l’augmentation mondiale de la population urbaine aura lieu dans les pays en développement, et que cette augmentation se fera à un rythme sans précédent. En raison de l’intensité de cette urbanisation, de nombreux nouveaux habitants des villes continueront à vivre dans la pauvreté, et donc bien en dessous des niveaux de consommation moyens par habitant observés dans beaucoup de villes du Nord développé. Cela dit, les villes génèrent malgré tout de la richesse. Malgré leur pauvreté, ces habitants des villes seront toujours plus riches que leurs frères et sœurs des milieux ruraux, et disposeront donc toujours d’un pouvoir de consommation plus important qu’eux. C’est pour cela que certains s’installent en ville pour y travailler et envoyer de l’argent à leur famille restée à la campagne. Ils gagnent davantage, consomment davantage et contribuent à l’augmentation de la consommation de ressources.
Pour en revenir à la typologie, il est évident que nous entrons dans une période de transformation majeure et que nous avançons, non vers un développement plus durable à l’échelle mondiale, mais vers un modèle plus intensif de consommation des ressources, et par conséquent, vers un avenir moins, ou probablement moins, durable. L’urbanisation n’entraînera pas une réduction de la consommation, au contraire, elle sera l’un des principaux moteurs de son intensification. En raison des augmentations substantielles de population dans les villes de rang inférieur (figure 3 types 1-5), la demande en matériaux, en énergie et en eau atteindra des sommets tandis que les rejets de carbone dans l’atmosphère atteindront le seuil critique des 500 parties par million d’ici à 2100, voire plus tôt.
Par ailleurs, contrairement aux messages véhiculés par la grande majorité des publications et des discours en la matière, la situation est telle qu’elle devrait être. Les populations urbaines doivent consommer davantage si l’on veut créer un avenir urbain plus humain. Les villes du rang inférieur ne constituent pas un modèle d’avenir auquel nous devrions aspirer. Le monde doit devenir moins durable avant de se lancer sur le chemin ardu du développement durable à l’échelle mondiale.
Ainsi, chers urbanistes, oubliez vos représentations sentimentales de l’écologie et prenez en compte les chiffres qui montrent que nous nous dirigeons vers un avenir urbain morose et compliqué. Faire le bon choix impliquera de laisser les populations urbaines mondiales intensifier leur consommation de ressources, dans un avenir proche. Bien évidemment, il est possible de tirer les conclusions contraires et d’estimer que le bon choix consisterait plutôt à prôner une utilisation efficiente des ressources au vu des conséquences graves qui nous attendent au niveau mondial. Toutefois, l’auteur de cet article croit fermement que si l’on optait pour cette voie, il n’en resterait pas moins que la déferlante de ces milliards de nouveaux citadins poussés en masse par le désir de confort matériel à acheter des systèmes de climatisation, se procurer des appareils modernes, manger toujours plus de viande et de façon générale, consommer autant qu’ils peuvent se le permettre est inéluctable.
(Cet article a été publié dans Stream 03 en 2014.)